Tout savoir sur le nouveau référentiel général pour l’IA frugale avec Juliette Fropier !

Porté par le laboratoire d’innovation Ecolab - Greentech Innovation au sein du CGDD - Commissariat général au développement durable du Ministère Écologie Territoires et AFNOR Normalisation, ce guide opérationnel vise à outiller les acteurs du numérique pour évaluer l’impact environnemental de leurs projets d’intelligence artificielle, et communiquer sur le caractère frugal de ces derniers.

 

Entrepreneurs d’avenir : Juliette, tu es cheffe de projet intelligence artificielle à l’Ecolab du Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Peux-tu nous en dire plus sur ton parcours en quelques mots, sur ton rôle et sur ta motivation personnelle à œuvrer sur ce sujet qui a « explosé » cette dernière année ?

Juliette Fropier : Je suis ingénieure de formation, avec une spécialisation en fin de parcours sur la datascience et le machine learning, ainsi que sur les méthodes d’évaluation environnementale (notamment l’analyse en cycle de vie ou ACV). Pendant mes études, j’ai eu plusieurs expériences dans le secteur public français et en organisation internationale sur des thématiques d’impact environnemental du numérique. C’était donc assez logique pour moi de rejoindre l’Ecolab, le laboratoire d’innovation du Ministère de la Transition écologique, pour travailler à la fois sur l’apport de l’IA à la transition écologique et l’impact environnemental de l’IA. J’ai notamment pour mission de suivre et coordonner les projets d’IA en faveur des politiques du Ministère, d’établir la stratégie IA du Ministère et d’animer plus généralement l’ensemble des acteurs du Ministère et de ses opérateurs sur le sujet.

L’intelligence artificielle est un sujet fortement stimulant, les progrès vont si vite qu’on a parfois du mal à suivre. Mais cette recherche de performance à tout prix nous fait parfois oublier les objectifs derrière cette technologie et la contrainte à laquelle nous faisons face sur les ressources est totalement mise de côté. Je souhaitais œuvrer à ce que toute l’énergie engagée autour de l’intelligence artificielle aujourd’hui puisse aller vers le défi de la transition écologique, mais que cela se fasse de manière raisonnée en mettant l’environnement comme la contrainte la plus forte.

 

Quelle a été la genèse de ce référentiel général pour l’IA frugale – Une AFNOR-Spec pour mesurer et réduire l’impact environnemental de l’IA que tu as piloté avec Anna Médan pour le compte de l’Afnor et l’objectif poursuivi en le publiant maintenant ?

Nous pilotons au sein de l’Ecolab la feuille de route IA et transition écologique du Ministère de la transition écologique. Un volet fort de cette feuille de route est l’animation d’une communauté des acteurs de l’IA dans les territoires, pour favoriser l’émergence de projets innovants au service de la transition écologique sur le terrain. Certains projets sont d’ailleurs soutenus par un appel à projet France 2030 pour des démonstrateurs d’IA frugale au service de la transition écologique. Pour cet appel à projet, nous avons posé des critères forts aux candidats sur l’estimation de la consommation énergétique et de l’impact carbone de l’entraînement et des inférences des modèles développés. Très vite, nous nous sommes rendus compte que les estimations n’étaient pas comparables entre elles, car elles ne reposaient pas sur un périmètre similaire : pour les entraînements, certains ne prenaient en compte que le modèle final ou d’autres toute la recherche et développement préliminaire.

Pour les inférences, on avait des chiffres par inférence, parfois par semaine ou par mois. Une revue de la littérature a permis de montrer que même dans les articles de recherche il n’y avait pas de méthodologie partagée sur l’impact environnemental de l’IA et sa réduction.
Nous avons donc décidé de lancer un groupe de travail parce qu’il nous paraissait primordial d’avoir un consensus sur le sujet aussi bien au niveau de la recherche que des entreprises et des associations. Après de premiers échanges avec des acteurs clés en France, comme le Hub France IA, l’Ademe ou EcoInfo, nous avons fait avec eux notre réunion de lancement le 15 janvier. Nous avons choisi pour animer le groupe de travail de nous associer à l’AFNOR, afin d’écrire un référentiel au plus proche de la normalisation existante et afin de pouvoir l’utiliser pour de futurs efforts normatifs.

Nous nous sommes très tôt mis la contrainte de le publier au mois de juin, parce que les développements de l’IA vont si vite qu’il nous paraissait primordial d’outiller les acteurs le plus vite possible. Alors nous avons eu la chance de pouvoir compter sur un groupe de travail de plus d’une centaine d’acteurs de la recherche, des administrations, des entreprises et des associations. Des réunions en sous-groupe de travail ont eu lieu toutes les semaines et des plénières tous les mois.

 

Quels en sont à ton avis les trois points saillants si tu devais en faire une synthèse et pour quelles raisons choisis-tu de les mettre en avant ?
Trois choses sont importantes à retenir selon moi :

  • La définition d’un service frugal d’IA : cela nous a pris beaucoup de temps pour aboutir à un consensus, car la frugalité est elle-même une notion flottante, qui se rapproche de celle de sobriété et qui peut surprendre quand on la rapproche de l’IA (qui est une technologie forcément consommatrice de ressources). Au final, on a surtout voulu montrer la distinction avec la notion d’efficience, puisque les acteurs se contentent souvent de mettre derrière IA frugale un simple effort sur l’efficacité énergétique des algorithmes et du matériel, tout en gardant le même objectif de résultat. Au contraire, pour un service frugal d’IA, c’est la contrainte sur les ressources qui prime, avant le niveau de résultat. Il faut donc dès le cadrage du projet être capable de remettre en cause la nécessité de l’IA pour répondre au besoin, puis mettre en place des bonnes pratiques et penser un usage qui respecte les limites planétaires.
  • Le deuxième point important selon moi, c’est le périmètre de la mesure. On avait des chiffres peu comparables par manque de consensus sur ce qui doit être intégré dans une estimation ou un calcul d’impact. Maintenant, on a posé que l’unité fonctionnelle, c’est-à-dire l’unité de référence dans l’évaluation environnementale de l’IA, est la « mise à disposition du système d’IA pour un an sur x requêtes ». Cela ne paraît pas grand-chose mais n’avait jamais été posé jusqu’à présent. Il faut donc pour cela prendre en compte l’entraînement (toutes les phases de conception / développement / vérification / validation), les réentraînements et les inférences.
  • Enfin, je note aussi la pluralité des bonnes pratiques que nous avons recensées auprès de l’écosystème, aussi bien sur la gestion des données, la performance des modèles, les équipements, la gouvernance ou les compétences. In fine, l’impact environnemental de l’IA ne sera pas l’affaire seulement des équipes RSE, ou des datascientists. Il faudra mettre en œuvre des bonnes pratiques à plusieurs niveaux et remettre les sujets environnementaux au cœur de toute la conduite de projet.

 

Et l’après ? Quelles suites vont être éventuellement données à ce rapport (usage, retours d’expériences, mises à jour, etc.) ?
Ces travaux ne sont qu’un début. Maintenant, il faut que ce soit testé et intégré sur le terrain par les diverses organisations pour acquérir du retour d’expériences. Il me semble que ce référentiel peut à terme se révéler être un avantage compétitif pour les entreprises qui s’en emparent, en leur permettant de se différencier parmi tous les systèmes d’IA qui sont mis sur le marché aujourd’hui. Dans la sphère publique, on le relaiera bien sûr aux services qui développent en interne leurs propres outils IA, il y aura également des travaux sur la commande publique en IA pour orienter les achats des administrations vers des modèles d’IA plus frugaux.

La suite se dessinera également à l’échelle internationale, puisqu’en Intelligence Artificielle ce sont des acteurs d’envergure internationale qui sont déterminants en matière d’impact environnemental. Nous porterons donc le texte du référentiel au niveau européen d’abord, au Comité Européen de Normalisation, dans la continuité du Règlement européen IA, et travaillerons avec les organisations internationales, comme l’OCDE ou l’ITU, qui s’intéressent de près au sujet.

Plus d’infos

Une interview réalisée par Coryne Nicq

Crédit photo Sofian Chouaib

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