Repenser notre rapport à l’eau, une urgence pour Emma Haziza

C’est la fin de l’abondance de l’eau. Emma Haziza, hydrologue, affirme qu'il faut absolument repenser l'agriculture et son irrigation, à l'heure du changement climatique.

Vous êtes hydrologue spécialiste de la résilience des territoires face aux risques climatiques extrêmes. Selon vous, l’année 2022 serait l’année de la prise de conscience et deviendrait la norme en termes climatiques. Suite au plan anti-sécheresse du gouvernement adopté il y a quelques semaines – il y a de moins en moins d’eau dans les nappes phréatiques – il est urgent d’agir. Emmanuel Macron lors de sa visite au salon de l’agriculture évoque « la fin de l’abondance ». Que préconisez-vous, notamment pour les agriculteurs ?

Il faut repenser l’agriculture en France à l’heure du changement climatique. Surtout dans les zones où les sols ont été particulièrement maltraités par des années d’épandages massifs de pesticides. Ces sols ne sont plus capables de retenir l’eau et on se retrouve même avec des pertes de sols. Il va donc falloir revoir la capacité des filières agricoles face aux nouvelles donnes. Certaines seront amenées à disparaître, d’autres, à se transformer vers des espèces nécessitant moins d’eau.
Enfin, nous devons utiliser l’intelligence de l’agroforesterie massivement si nous voulons tenter de conserver le cycle de l’eau de manière optimale par la construction de haies, de bandes enherbées, couverts, paillage, etc…

L’accès à l’eau est un enjeu essentiel pour l’agriculture et le tourisme. Que doit-on améliorer en urgence en termes de consommation, de traitement, de réutilisation ?

Deux choses. En premier, la consommation, trop importante dans une ère où l’eau n’est plus abondante et deuxièmement la qualité de l’eau. Nous avons depuis trop longtemps tendance à croire que l’eau nettoie tout. Nous devons faire attention à nos effluents, c’est à dire l’eau qui sort après nos usages. Tous nos modes de vies et nos consommations diverses se retrouvent ensuite dans l’eau de nos rivières. Cette eau doit être préservée et cela passe aussi par le fait de repenser l’usage de l’eau dans les zones touristiques au même titre que le changement de paradigme nécessaire pour le monde agricole.

Au-delà de nos campagnes, dans nos villes, nos rues sont beaucoup trop imperméabilisées et pourraient devenir des rivières. Y a-t-il des innovations prévues pour contrer cela ?

Oui, on peut jouer avec des matériaux de revêtement de routes perméables qui laissent pénétrer l’eau plus facilement, des noues, des zones d’infiltrations, la récupération de l’eau de nos gouttières pour alimenter les zones végétalisées. Il faut clairement désimperméabiliser massivement nos villes et retirer l’asphalte pour la transformer avec des matériaux compatibles avec le cycle de l’eau. On peut aussi mettre des solutions en place pour nos façades et toits, entre peinture et végétalisation, il existe aujourd’hui un panel important de solutions.

Comment pourrions-nous protéger le cycle de l’eau d’un point de vue général ? Peut-on espérer un retournement de situation ?

Il faut recréer des espaces permettant au cycle de l’eau de se régénérer. Restaurer les zones humides, accroître les espaces verts et trouver des solutions pour pouvoir leur apporter de l’eau dans les périodes où l’on en manque massivement, via des réservoirs et des solutions de récupérateurs d’eau de pluie.

« Derrière tout le PIB de tous les pays du monde se cache de l’eau ». Nous pourrions nous approcher de plus en plus de la guerre de l’eau, selon vous où en serons-nous avec cette ressource en 2030 ?

Cette ressource disparaît de nos continents à une allure jamais imaginée jusque-là. Les sécheresses touchent les 4 coins du monde. Les tensions commencent à être perceptibles déjà en France avec la question des bassines ou retenues de substitution. Nous allons devoir préserver massivement les nappes mais c’est contre-intuitif pour un pays qui a toujours basé sa réussite sur la croissance massive. On a pas tellement envie de voir s’infiltrer de l’eau qui ne servira pas directement notre économie. Pourtant la solution est là, réinfiltrer l’eau dans les réserves profondes permet de soutenir les rivières superficielles mais aussi l’humidité des sols, donc leur fertilité. Il va falloir un changement profond dans nos consciences pour comprendre que si nous voulons nous en sortir, il nous faut plus que partager l’eau entre nos usages et la nature, il faut lui rendre d’abord et lui laisser ensuite nous abonder d’une eau renouvelée. Je ne sais pas si nous serons capables d’appliquer cette leçon de bon sens.

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