Poésie de l’entrejambe
Banal en Occident mais tabou ailleurs, l’entrejambe des femmes a inspiré l’artiste américaine Lisa Salamandra, qui en livre une vision métaphorique et pudique dans sa série Crotches.
Mardi 17 Octobre 2017
Alors qu’elle voyageait en Inde, voici une vingtaine d’années, l’artiste américaine Lisa Salamandra s’est aperçue que les hommes épiaient son entrejambe à la dérobade. Son pantalon tout à fait décent n’empêchait pas les regards de se porter subrepticement sur cette partie de son corps.
Ces regards l’ont interpellée. Elle s’est renseignée sur les coutumes indiennes relatives à la pudeur, qu’elle aurait pu avoir transgressées à son insu. À sa grande surprise, on lui a expliqué que pour une femme, laisser apparaître la forme de l’entrejambe et des cuisses, même couvertes par un vêtement, était considéré comme impudique. Ces simples plis du pantalon, qui dessinent un Y, sont perçus comme une provocation.
Pourtant ce « Y » est neutre et asexué, il peut être celui d’un homme aussi bien que d’une femme. Mais en Inde, il ne doit pas être montré, et les femmes doivent le dissimuler quand elles sortent dans l’espace public.
Mystère, fécondité, plaisir
Interloquée, Lisa a tiré de cette expérience une série de 48 tableaux, les Crotches (entrejambe, en anglais), qu’elle a dévoilé à la Fondation des Etats-Unis, à la Cité universitaire, le 12 septembre dernier. Elle y explore avec une abondance de couleurs une variété de thèmes intemporels : le mystère, la fécondité, le plaisir, mais aussi l’enfermement et la peur.
Elle livre une vision poétique du sexe féminin, tout en restant pudique et métaphorique : comment les seuls plis du pantalon, si banals, peuvent-ils paraître indécents ? « J’ai eu envie d’inciter les visiteurs à regarder cette partie du corps autrement, dans toute sa multiplicité », explique-t-elle. Et sous son pinceau, l’« Y » emblématique devient feuille, triangle, labyrinthe…
Mais Lisa se garde d’avoir voulu faire un acte militant : « J’ai été élevée sans équivoque de genre. J’aspire à l’égalité entre femmes et hommes, mais je ne me considère pas comme féministe, ce n’est pas un terme qui me qualifie. »
Dans la série Crotches, elle détourne le « Y » et joue avec lui. Cette lettre de l’alphabet est devenue pour elle un moyen de parler de la femme à travers une zone de son corps, certes réduite, mais lourde de symboles et de tabous.
Un moyen d’expression pour la cause des femmes
Les 48 œuvres de la série Crotches font l’objet d’un catalogue, financé et réalisé par un comité de mécénat. À l’initiative de ce comité, Tamara Leylavergne, Entrepreneure d’avenir présidente de Protys, une plateforme internet de gestion de travaux de proximité, et qui connaît Lisa depuis 30 ans.
« Le catalogue est un très bon moyen pour s’imprégner de l’esprit des Crotches, assure-t-elle. Lisa y exprime sa démarche artistique et nous avons aussi demandé à des auteures d’apporter leur contribution. Et puis en devenant public, son travail ne lui appartient plus complètement. Il devient un moyen d’expression pour la cause des femmes, et il donne à réfléchir à tous ceux qui ne se posaient pas de questions sur l’égalité femmes hommes. »
Texte Pascal de Rauglaudre