Olivier Hamant : La fin de la performance, Vive la robustesse !

Biologiste et directeur de recherche à l'INRAE, Olivier Hamant nous invite à repenser notre relation au monde vivant à travers le prisme de la robustesse. Il expose les limites du culte de la performance, qui mène à des impasses écologiques, et propose la robustesse comme antidote.

 

Entrepreneurs d’avenir : Olivier, vous êtes biologiste et directeur de recherche à l’INRAE (au laboratoire de Reproduction et Développement des Plantes (RDP) au sein de l’ENS de Lyon), directeur de l’institut Michel Serres et auteur de « La 3ème voie du vivant » aux éditions Odile Jacob et plus récemment de « Antidote au culte de la performance. La robustesse du vivant » dans la collection Tract chez Gallimard.
Auteur de plusieurs essais interrogeant la notion de robustesse, vous travaillez depuis longtemps sur les nouvelles relations de l’humanité avec la nature.
Vous êtes notamment à l’origine d’une réflexion sur la robustesse et sur les leçons du vivant pour habiter le monde du futur, forcément fluctuant.
Votre questionnement et vos recherches sur « comment habiter le monde fluctuant » nous enseignent sur l’adaptabilité du monde vivant et nous incitent à sortir du culte de la performance. Vous dites notamment que le vivant est robuste parce qu’il n’est précisément pas performant et que l’adaptabilité réenchante le risque !

Quelle est votre analyse des défis écologiques à relever et comment trouver les leviers de résilience ?

Olivier Hamant : La situation est complexe (de nombreux défis interdépendants) et simple à la fois. Sur ce dernier point, il s’agit d’y voir plus clair en mettant un peu de hiérarchie dans les problématiques. Voici pour moi, les deux points saillants pour la question socio-écologique :
En premier, la crise climatique domine dans les médias, et donc dans les solutions proposées, alors qu’il s’agit du symptôme et non de la cause. On est en train d’apporter les meilleures réponses à la mauvaise question (par ex. des usines de capture directe du CO2 qui ne sont que des opérations financières). Quelle est la cause première ? Notre performance fait une guerre à la vie, et c’est donc la préservation de la biodiversité et des services écosystémiques qui devraient primer. Cela ne coûte presque rien, on peut le faire à toutes les échelles – du balcon au champ – et le premier levier pour monter en échelle, c’est l’agriculture pour laquelle nous avons toutes les solutions techniques (agroécologie). La question socio-écologique est donc d’abord une question de courage politique et une révolution culturelle.
En second, le message principal des rapports scientifiques sur notre futur est que le monde va devenir de plus en plus fluctuant. A vrai dire, on commence déjà à voir des méga-feux, des événements extrêmes, et des remous sociaux et géopolitiques en conséquence. La réponse à apporter n’est pas plus de performance ou d’optimisation (qui tendent à amplifier les turbulences), mais plus de robustesse (maintenir le système stable, malgré les fluctuations). Pour cela, nous avons tout à apprendre du vivant, qui fait de la robustesse depuis quatre milliards d’années. Inutile d’ajouter que l’équité et la justice sociale sont des éléments de robustesse.

En s’inspirant du vivant, vous avez proposé récemment la robustesse comme antidote à la performance. Performance, modèle de fonctionnement qui nous a amené là où nous en sommes. De quelle robustesse parle-t-on ?

Pour le vivant, la robustesse est très large : redondances, hasards, incohérences, hétérogénéités, lenteurs, etc. sont abondantes et contribuent à ajouter du jeu dans les rouages, à ajouter des filets de sécurité. Les sociétés humaines ont aussi développé leur robustesse (notamment les politiques sociales), mais elles se sont aussi enfermées dans l’idéologie d’une performance toujours positive. Ce qui n’est démontré ni dans le vivant (la performance conduit à des impasses évolutives par excès de spécialisation) ni dans la science plus large des systèmes ou de la cybernétique. C’est une idéologie sans aucun fondement scientifique. L’ultra-libéralisme est de ce point de vue, la plus ignoble absurdité que les humains ont pu inventer : il construit un burnout des humains comme des écosystèmes.

Comment concrètement bifurquer vers un monde de robustesse, celui que vous estimez être une voie plus désirable, plus large, et plus riche que celle de la performance ?

Pour bifurquer, il suffit de constater que nous avons d’ores et déjà entamé ce chemin. Pas le choix, les fluctuations arrivent ! L’agroécologie, le tout-réparable, l’économie de la fonctionnalité, la bioéconomie circulaire, les conventions citoyennes, la recherche participative, etc. sont autant de premiers pas vers le monde robuste de demain. De façon plus pratique, la bifurcation demande deux choses : d’abord de se désintoxiquer de l’idéologie de la performance nécessairement positive. Il faut bien un peu de performance de temps en temps, mais faire de la performance un objectif en soi est un projet de mort. Comme aller sur Mars par exemple. Et puis faire un audit interne de robustesse pour identifier le déjà-là robuste dans son organisation, pour le faire fructifier et l’étendre aux non-humains. La robustesse des sociétés humaines ne peut pas se concevoir de façon extra-terrestre. Il s’agit d’identifier les liens au territoire, à l’eau, au vivant dans toutes nos actions, et développer des solutions plurielles pour maintenir leur existence dans la durée, et malgré les fluctuations actuelles et à venir.

Quelles sont les différentes formes que peut prendre la robustesse et notamment dans l’univers économique ?

Comme je l’ai indiqué, c’est basculer de l’agriculture intensive à l’agroécologie, du tout-jetable au tout-réparable, du modèle propriétaire au modèle de l’usage, du compétitif au coopératif, etc. De façon plus pratique, c’est récupérer l’eau de pluie sur son site production, c’est dépolluer les effluents de son usine grâce à des plantes, c’est choisir ses fournisseurs et ses clients en fonction de critères socio-écologiques, etc. C’est aussi préserver une place à la performance, un peu comme le pompier qui doit être performant dans l’incendie, mais doit être robuste dans sa préparation au feu. La robustesse, ce n’est donc pas simplement une lutte contre la performance, c’est plutôt un nouvel équilibre à trouver où la performance, indispensable, devient plus cosmétique, au profit de la robustesse.

Quel est selon vous le rôle des scientifiques au-delà de celui de lancer de nécessaires alertes ?

Cela fait plus de cinquante ans que les scientifiques crient « Brace ! Brace ! » comme dans un avion qui se crashe. On a tout essayé, de la pédagogie, au théâtre en passant par l’humour. Il nous reste la vérité. D’où la multiplication des lanceurs d’alerte scientifique. Mais il faut aussi reconnaître que le tropisme vers la performance a aussi contaminé le monde scientifique, qui ne fait pas toujours le tri dans les solutions aux défis socio-écologiques. Le premier rôle des scientifiques serait donc de faire un peu de ménage en interne d’abord. Il est ahurissant de constater que des projets absurdes puissent avoir l’aval de scientifiques de renom, comme l’optimisation de la photosynthèse pour augmenter les rendements (une hérésie, que je n’ai pas le temps de détailler ici), certains protocoles de géo-ingénierie extrêmement dangereux, ou encore la poursuite d’un soutien à l’économie néolibérale. Il est temps pour les scientifiques qui le peuvent de sortir des laboratoires et se lancer dans la recherche participative, avec les citoyens, pour identifier des questions plus pertinentes (un test de robustesse en quelque sorte) et éviter de soutenir des solutions que l’on pourrait qualifier de néocoloniales sur les territoires et leurs habitants.

Et votre actualité d’ici à mars 2025, quelle est-elle ? De quelle nature vont être vos prochaines actions ?

Outre ma recherche au laboratoire qui nous démontre toutes les valeurs de la robustesse biologique, je vais continuer à parler robustesse socio-écologique et économique par tous les canaux possibles, tant l’actualité et les retours des uns et des autres me confirment que ce sujet doit prendre sa place dans ce monde toujours plus turbulent. Nous ne manquons pas de solutions, nous avons surtout accès à trop de solutions contreproductives. Le critère pour trier, c’est la robustesse. Je cherche aussi des relais, notamment pour que ce sujet s’invite au-delà du monde économique et associatif, dans la politique (à mon avis, c’est une opportunité plus qu’un risque pour tout politique engagé !).
Avec l’institut Michel Serres, nous allons accompagner des formations sur la robustesse (par ex. larobustesse.org). Je vais aussi publier un livre avec Sandra Enlart et Olivier Charbonnier pour explorer comment le management doit se réinventer à la lumière de la robustesse. Il devrait sortir au printemps 2025 (Ed. Odile Jacob).

 

Une interview réalisée par Coryne Nicq

Vous retrouverez Olivier Hamant parmi les intervenants à l’Université de la Terre en mars 2025 à l’UNESCO.

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