Noémie Calais : Plaidoyer pour une agriculture écologique et solidaire
Éleveuse de porcs noirs bio et autrice, Noémie Calais explore dans Plutôt nourrir son quotidien agricole et les enjeux d'une démocratie alimentaire face aux défis environnementaux et à la précarité des agriculteurs.
Entrepreneurs d’avenir : Noémie, vous êtes éleveuse de porcs noirs bio dans le Gers, et vous écrivez sur l’agriculture et ses enjeux environnementaux, sociétaux et politiques. Vous avez notamment corédigé « Plutôt nourrir », une immersion dans votre quotidien d’éleveuse qui questionne notre modèle agricole. Quels sont vos objectifs à travers cet ouvrage, et comment parvenez vous à faire de votre expérience personnelle un récit politique ?
Noémie Calais : Je n’aurais pas écrit cet ouvrage si mon ami Clément Osé n’était pas venu me trouver avec une proposition éditoriale, et du temps pour la rédaction principale de l’ouvrage ; moi, j’étais dans le dur de l’installation agricole, je manquais cruellement de temps ! Au fil des mois, le travail en binome avec Clément m’a fait prendre conscience de l’importance de témoigner de ce que je vivais dans mon quotidien d’éleveuse : le rapport à la vie, à la mort, les joies et les nombreuses difficultés du métier, et peu à peu…le rapport de force politique qui est extrêmement puissant dans le monde agricole. L’agriculture paysanne, pourtant si riche en externalités positives sur le plan social et environnemental, est très peu aidée par les pouvoirs publics, voire complètement dénigrée. Devant certaines injustices, j’ai pris la plume. Notre livre Plutôt Nourrir suit ce cheminement : il part d’une démarche individuelle, celle de mon installation agricole, et chemine vers une réflexion politique et collective.
La colère du monde agricole est aujourd’hui un sujet récurrent de l’actualité de l’hexagone. Depuis le mois de janvier, les agriculteurs français se mobilisent notamment contre la signature des accords du Mercosur. Vous dénoncez vous-même la précarisation du milieu et le manque de mesures efficaces pour accompagner la transition du monde agricole : qu’attendez-vous aujourd’hui du monde politique ?
Je suis atterrée par les attaques, physiques ou politiques, subies par les organisations qui soutiennent l’agroécologie et la biodiversité : l’Agence Bio, l’OFB, l’INRAE, l’ANSES…Le gouvernement semble avoir pris la colère agricole de l’an dernier comme un blanc-seing pour accélérer l’intensification et l’industrialisation de nos systèmes agricoles, et faire gravement reculer les protections environnementales, notamment sur les pesticides. Concernant l’intensification de l’élevage, qui a entendu parler des décrets de l’été dernier changeant la nomenclature des installations classées pour l’environnement ? Dans le plus grand silence, les seuils ont été relevés, passant par exemple de 40 000 à…85 000 poulets par bâtiment. Voilà comment on se retrouve à intensifier nos modèles agricoles, et accroître les risques qui vont avec (zoonoses, maladies, dépendances aux énergies fossiles et à l’import de céréales ou protéagineux etc.), au lieu de cibler les causes profondes de la crise : libre-échange et casse des prix des denrées agricoles, perte de revenu des agriculteurs, hausse des prix et difficulté d’accès au foncier, érosion des sols (plus de 70 % des sols en Europe sont dégradés), chute de la biodiversité…
Dans votre livre, vous évoquez notamment la nécessaire entraide soit entre agriculteurs et citoyens qui partagent des problèmes de précarité. Comment peut-on espérer garantir l’accès à une alimentation saine et durable pour tous, tout en prenant en compte les difficultés économiques des consommateurs comme des producteurs ?
C’est tout l’enjeu de la démocratie alimentaire. L’argent est là, mais il y a un grave problème de répartition, et de prise en compte des externalités négatives du système actuel. Quelques chiffres : sur les 9 milliards d’euros annuels que reçoit la France de la Politique Agricole Commune (PAC), environ 75 % des aides sont distribuées à…25 % des agriculteurs. A l’autre bout du spectre, environ 35 % des agriculteurs français ne perçoivent aucune aide. Côté consommateurs, je citerai le chiffre affolant de la FAO dans son rapport de novembre 2023 : le coût de la nourriture industrielle est estimée à 10 000 milliards de dollars par an au niveau mondial, dont 73 % liés à l’ultratransformation des aliments.
La solution selon moi doit être double : des politiques nationales et européennes visant à une meilleure répartition des aides publiques, avec des aides à l’actif plutôt qu’à l’agrandissement, pour donner toutes ses chances à l’agriculture paysanne : c’est une question d’égalité. Et ensuite une solution territorialisée, au plus près des citoyens, touchant cette fois à l’équité : c’est le sens des expérimentations de sécurité sociale alimentaire (SSA) développées en ce moment dans de nombreux territoires en France.
L’opposition entre écologie et agriculture est de plus en plus récurrente dans le débat public avec une tendance à accuser la prolifération des réglementations environnementales. Comment lutter efficacement contre ce type de discours ?
L’opposition entre écologie et agriculture est brandie comme un épouvantail par certains syndicats agricoles qui rejettent la responsabilité des difficultés économiques du secteur sur les normes environnementales… Sauf que les chiffres disent le contraire : dans un sondage BVA pour le Collectif Nourrir en février 2024, confirmé par le Shift Project dans sa Grande Consultation des Agriculteurs fin 2024, plus de 80 % des agriculteurs voient la transition agroécologique comme une opportunité et/ou une nécessité. Pas comme une menace. La survie de nos activités agricoles dépend de la résilience de nos écosystèmes : il est purement et simplement suicidaire de faire sauter les garde-fous environnementaux. Nous sommes en première ligne face au changement climatique et serons les premiers à subir dans notre chair (et dans nos comptes de résultats…) les sécheresses, tempêtes, inondations et épizooties.
Vous témoignerez à l’Université de la terre pour parler d’agriculture et de protection de la biodiversité : comment envisagez-vous le monde agricole de demain, et quels sont les défis qui l’attendent ?
L’agriculture de demain ne pourra se faire qu’en améliorant la résilience des écosystèmes : accroître la capacité des sols à absorber l’eau et à la rendre au milieu, limiter l’érosion via la couverture des sols, redonner un rôle central aux prairies, aux zones de pâturage et aux arbres pour capter du CO2 et favoriser la biodiversité… Les solutions sont là et ont déjà fait leurs preuves : polyculture-élevage, sols couverts, haies champêtres, agriculture bio, arrêt des pesticides etc. Le plus gros défi pour demain sera de renverser le rapport de force politique qui tente d’enfermer ces pratiques dans un schéma d’alternative, afin de pouvoir les déployer à large échelle sur nos territoires.
Retrouvez Noémie Calais à l’Université de la terre les 14 & 15 mars 2025
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