Missions Publiques : quand la participation citoyenne façonne l’avenir

Depuis 1998, Missions Publiques favorise le dialogue entre citoyens, experts et décideurs pour co-construire des solutions face aux enjeux sociaux et écologiques, en plaçant la participation citoyenne au cœur des décisions publiques.

 

Entrepreneurs d’avenir : Comment est née Missions Publiques et qu’est ce qui guide vos actions aujourd’hui ? Quels sont les principes fondamentaux qui animent votre travail ?

Missions Publiques a été fondée par Yves Mathieu en 1998. Elle est née du diagnostic d’un besoin de faire se croiser les expériences et les expertises de ceux qui vivent une situation (citoyens, habitants, usagers, agents des services publics) pour trouver ensemble des solutions et aboutir à des décisions qui intègrent mieux les besoins, les attentes réelles d’un territoire. Elle est née aussi d’une forme d’intuition que les actions mises en œuvre quand elles sont pensées uniquement par les décideurs, se privent d’une source de connaissances importantes qui est celle des vécus de terrain.

Nous sommes guidés par un principe clé : aucun sujet n’est trop complexe, trop technique ou trop clivant pour ne pas être discuté avec la société. Plus un enjeu semble délicat, plus il est essentiel de créer des espaces de dialogue qui permettent de confronter les points de vue, d’explorer les tensions et de bâtir des compromis éclairés. Nous défendons l’idée que la démocratie ne peut se résumer à un vote tous les cinq ans. Elle doit être vivante, continue et inclusive, en intégrant la diversité des voix et en s’appuyant sur des méthodes participatives qui garantissent un échange sincère et constructif. Cela passe par des dispositifs de consultation et de concertation bien conçus, mais aussi par une réflexion approfondie sur la manière dont les résultats de ces démarches influencent réellement les décisions politiques et stratégiques.

Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un paradoxe : jamais les dispositifs de participation n’ont été aussi nombreux, entre consultations publiques, conventions citoyennes, plateformes participatives et autres outils de dialogue. Pourtant, la défiance envers les institutions reste forte, et le pessimisme vis-à-vis de l’avenir de la France demeure préoccupant. Ce constat nous engage à réinterroger nos pratiques, à innover dans nos approches et à questionner en profondeur la manière dont les décideurs – publics comme privés – tiennent compte des résultats des concertations.

 

Parmi les projets que vous avez animés, quels sont ceux qui ont le mieux illustré l’impact concret d’une participation citoyenne éclairée ?

J’ai deux exemples en tête. Le premier concerne une concertation nationale sur la politique vaccinale menée en 2016, bien avant celle liée au Covid. Cette démarche a montré que lorsque des citoyens disposent d’une information complète et structurée sur un sujet complexe, ils sont en mesure de proposer des solutions pertinentes et argumentées. En l’occurrence, ils ont repensé la distinction entre vaccinations obligatoires et facultatives, en proposant une nouvelle classification plus en phase avec les enjeux de santé publique. Leurs recommandations ont été suivies et ont nourri la réflexion des autorités. Fait intéressant, un jury de professionnels, consulté en parallèle, est arrivé à des conclusions similaires, soulignant ainsi la montée en compétence rapide des citoyens lorsqu’on leur donne les moyens de s’informer et de débattre. L’un des enseignements marquants a d’ailleurs été leur capacité à identifier un angle peu exploré : le manque de formation des professionnels de santé sur ces sujets.

Le second exemple est plus récent et porte sur la convention citoyenne du Grand Lyon, consacrée à l’adaptation au changement climatique, en particulier aux vagues de chaleur. Cette démarche a contribué à inscrire cette problématique à l’agenda politique, alors qu’elle était encore peu prise en compte dans les politiques publiques. L’un des apports majeurs de la convention a été de mettre en avant la solidarité comme un levier essentiel de résilience face aux crises climatiques. Les citoyens ont formulé des propositions concrètes pour renforcer l’entraide de proximité et favoriser des solutions collectives. Un autre point clé soulevé par la convention est la nécessité d’anticiper dès aujourd’hui les effets des futures vagues de chaleur, notamment la multiplication des nuits tropicales. Sans action coordonnée, la réponse spontanée des individus risque de se limiter à la climatisation individuelle, une solution énergivore et contre-productive qui aggrave le problème. Les citoyens ont alors réfléchi à des alternatives plus durables, privilégiant des solutions collectives de rafraîchissement. Plutôt que de favoriser des réponses isolées et polluantes, ils ont plaidé pour des approches plus justes et plus respectueuses de l’environnement, fondées sur une logique de coopération et d’intérêt général.

 

Selon vous, quels sont les principaux obstacles à une prise en compte sincère et efficace de la voix citoyenne dans les grandes décisions, notamment sur les transitions écologiques ?

Un des premiers obstacles réside dans la structure même de notre système institutionnel, qui n’est pas conçu pour intégrer pleinement la voix citoyenne dans les processus décisionnels. Aujourd’hui, la prise en compte des propositions citoyennes dépend largement des rapports de force existants dans le monde réel, notamment face aux acteurs économiques et aux lobbies. Un exemple frappant est celui de la Convention citoyenne pour le climat, dont certaines propositions, comme la limitation des vols de courte distance, ont été fortement contestées et amoindries sous la pression des intérêts économiques.

Mais avant même d’arriver à ces arbitrages politiques, un défi fondamental est celui de la prise de conscience et de l’acceptation collective de la gravité de la situation. Le déni ou la difficulté à affronter certaines réalités freinent la prise de décision. Par exemple, le recul du trait de côte pose des questions profondes sur nos modes de vie et notre capacité à envisager un futur qui ne soit plus fondé sur la promesse d’une prospérité matérielle toujours croissante. Le problème est alors de définir un nouveau récit collectif : si nous devons renoncer à certaines formes de croissance, quelle autre promesse pouvons-nous proposer ?

Un autre frein majeur est la difficulté à s’accorder sur les transformations nécessaires et sur les compromis acceptables par l’ensemble des acteurs de la société. Trop souvent, la question des renoncements et des changements concrets n’est pas posée dans toute son ampleur. Quelles évolutions du système économique sont réellement envisageables ? Jusqu’où sommes-nous prêts à modifier nos modes de vie ? Et surtout, comment construire des compromis qui ne soient pas uniquement validés par les citoyens, mais aussi par les acteurs économiques et institutionnels ? Sans une discussion approfondie et collective sur ces sujets, les décisions restent limitées et difficilement applicables.

Enfin, il y a une interrogation sur le rôle même de la participation citoyenne. On sait aujourd’hui quelles sont les grandes lignes des solutions nécessaires pour répondre à la crise écologique. Alors, que doit apporter la voix citoyenne ? Son rôle ne doit pas être de devenir une instance d’expertise parallèle, mais plutôt d’éclairer les trajectoires de transition et d’identifier les chemins collectifs acceptables pour passer d’une société non soutenable à une société soutenable, où chacun trouve sa place. La question du sentiment de justice est ici centrale : toute transformation perçue comme injuste ou déconnectée des réalités sociales risque de générer une opposition forte, comme l’a montré le mouvement des Gilets jaunes. La révolte contre la taxe carbone, perçue comme une mesure pénalisant les plus précaires, illustre bien la nécessité d’intégrer les préoccupations sociales dans la transition écologique pour éviter qu’elle ne soit vécue comme une contrainte insupportable.

En somme, les freins à une réelle prise en compte de la voix citoyenne sont multiples : une structure institutionnelle peu adaptée, des résistances liées aux intérêts en place, la difficulté à partager un diagnostic clair et accepté par tous, ainsi que l’absence de réflexion collective sur les compromis et les renoncements nécessaires. La participation citoyenne ne doit pas être un alibi ou un exercice théorique, mais un levier pour construire des trajectoires de transition justes et réellement applicables.

 

Dans un contexte national, et international très mouvementé où l’urgence écologique est pressante et en même temps des régressions politiques sur les engagements à prendre, comment voyez-vous l’évolution des démarches participatives dans la prise de décisions démocratique dans la création de solutions concrètes et pérennes ?

Dans un contexte national et international marqué par des tensions croissantes, des restrictions budgétaires et des régressions politiques sur les engagements écologiques, les démarches participatives sont plus que jamais essentielles. Non pas parce qu’elles garantiraient un consensus immédiat, mais parce qu’elles permettent d’explorer pacifiquement les désaccords et d’organiser le débat démocratique sur des sujets qui touchent directement nos modes de vie et nos intérêts parfois contradictoires.

L’un des enjeux majeurs est d’inscrire ces démarches dans une logique de dialogue élargi, associant les citoyens, les décideurs, les experts, les ONG et les acteurs économiques. La transition écologique ne pourra être menée efficacement qu’en mobilisant l’ensemble de ces parties prenantes, en tenant compte des contraintes spécifiques de chacun, mais aussi des marges de manœuvre possibles. Cela passe par une approche territorialisée et par des discussions centrées sur des enjeux concrets et précis, où les décisions peuvent véritablement se traduire en actions durables.

Souvent, les débats autour de la transition écologique sont abordés de manière trop sectorielle – en se focalisant uniquement sur la mobilité, la réduction des émissions de carbone ou d’autres aspects isolés. C’est pourquoi des cadres d’analyse plus systémiques, comme celui des limites planétaires ou du “donut” économique, sont particulièrement intéressants. Ils permettent d’élargir la réflexion et d’intégrer des dimensions sociales et environnementales qui sont souvent mises en tension dans les débats politiques et économiques.

Ce que l’on observe, c’est que la participation citoyenne a un effet transformateur : lorsqu’ils prennent part à des démarches participatives et délibératives, les citoyens développent une plus grande capacité d’action et une meilleure compréhension des enjeux. Toutefois, nous ne pouvons pas tout faire reposer sur la participation citoyenne. Il est crucial d’articuler ces démarches avec d’autres dynamiques, notamment l’éducation populaire, les mouvements associatifs et syndicaux, qui jouent un rôle fondamental dans la diffusion des connaissances et dans la transformation des organisations de l’intérieur.

En somme, la participation citoyenne doit être pensée comme un levier au sein d’un écosystème démocratique plus large. Elle ne peut à elle seule résoudre l’ensemble des défis liés à la transition écologique, mais elle peut contribuer à renforcer la cohésion sociale, à éclairer les choix collectifs et à structurer des solutions adaptées aux réalités locales. La clé réside donc dans une mise en œuvre collégiale et concertée, où chaque acteur – citoyens, associations, syndicats, entreprises et pouvoirs publics – trouve sa place et son rôle dans la construction d’un avenir plus soutenable. La vraie question aujourd’hui est donc : sommes-nous prêts à faire évoluer nos modes de gouvernance pour intégrer réellement cette intelligence collective ? Car si la participation ne suffit pas à tout changer, l’absence de participation, elle, nous condamne à l’immobilisme.

 

Lors de l’Université de la Terre, vous co-organisez un atelier sur l’alimentation et la biodiversité, le 15 mars. Que souhaitez-vous que les participants retiennent de cette expérience et comment espérez-vous qu’elle influence leur perception ou leurs actions ?

Tout d’abord, nous voulons que les participants vivent un moment agréable, participatif et stimulant qui prouve que l’on peut apprendre, échanger et réfléchir ensemble sans que cela soit rébarbatif ou purement académique. Ensuite, que chaque participant reparte mieux informé, avec une compréhension plus fine des liens entre ses choix alimentaires quotidiens et les grands enjeux de production agricole, de biodiversité et de transition écologique : qu’est-ce qui freine aujourd’hui une alimentation plus respectueuse de la planète ? Quels sont les leviers d’action à la fois individuels et collectifs ? On le sait, les expériences participatives sont souvent transformatrices pour les citoyens et renforcent, pour certains, leur pouvoir d’agir. Trop souvent, les débats autour de l’alimentation et de l’écologie peuvent être source de découragement, voire de fatalisme face à un système perçu comme rigide et difficile à faire évoluer. Nous espérons qu’en sortant de cet atelier, chacun se sente moins démuni, plus confiant dans sa capacité à agir – que ce soit par des choix individuels, par l’engagement citoyen ou par l’interpellation des décideurs.

 

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