Michel Hervé : « Il y a un bonheur d’être chez l’entrepreneur qui prend des risques »
Fondateur du groupe Hervé, Michel Hervé vient de publier un nouveau livre pour expliquer l’« intra-entrepreneuriat », le système de management original qu’il a mis en place au sein de son groupe, et qui répond, selon lui, aux exigences des entreprises de services du XXIe siècle.
L’entreprise est-elle compatible avec la démocratie ?
Cette question est au cœur de la réflexion de Michel Hervé sur le management participatif. Patron atypique, le président fondateur du groupe Hervé a été pionnier de l’Internet en France, professeur associé à l’université Paris 8 Vincennes, député européen, vice président d’Entreprise et Progrès, entre autres activités. Soucieux de responsabiliser les salariés de ses entreprises, il a développé un modèle d’organisation original, l’« intra-entrepreneuriat », auquel il a consacré son dernier livre, « Le pouvoir au-delà du pouvoir ».
Il explique le fonctionnement de cette organisation au sein de son groupe et les bénéfices qu’il en a tirés.
Entrepreneurs d’avenir – Pourquoi plaidez-vous pour un nouveau style de management ?
Michel Hervé – Notre vision de l’entreprise est encore imprégnée du management du XIXe siècle, avec ses deux acteurs traditionnels : le patron et le salarié. Je considère qu’il y en a trois en réalité : le rentier soucieux de voir son capital fructifier, c’est-à-dire le banquier ; le producteur qui travaille au présent ; et le créateur qui capitalise sur l’avenir. C’est lui le véritable entrepreneur.
Qu’entendez-vous par intra-entrepreneur ?
Les entreprises de services doivent s’appuyer sur des collaborateurs dotés d’une faculté d’adaptation rapide aux besoins de leurs clients. Ces collaborateurs doivent être en situation de capitaliser sur l’avenir et de fixer eux-mêmes leurs objectifs, c’est-à-dire de se comporter en véritables entrepreneurs à l’intérieur du groupe. D’où l’idée des « intra-entrepreneurs ». Il y a un vrai « bonheur d’être » chez l’entrepreneur qui prend des risques: son audace lui apporte la satisfaction de la réussite, et il tire les leçons de ses échecs pour mieux réussir la fois suivante. Mon job consiste à favoriser cette conscience du « bonheur d’être », qui va de pair avec celle du « bonheur d’être avec », c’est-à-dire le travail en groupe qui permet d’obtenir la reconnaissance des autres.
Que devient le rôle du manager dans cette configuration ?
Les managers traditionnels fonctionnent comme des chefs de bande, en mettant leur équipe à leur service. Dans le cas présent, ils se comportent davantage comme des chefs d’orchestre, qui observent le groupe et le suivent. Ils veillent aussi à maintenir la communication entre les intra-entrepreneurs et la cohésion des unités. C’est une vraie inversion de leur rôle.
Les salariés ont-ils tous vocation à être des « intra-entrepreneurs » ?
Chaque entreprise a sa culture. Les entreprises de services que je dirige ont besoin de gens qui ont cette faculté d’entreprendre, et l’audace qui l’accompagne. Les collaborateurs qui par nature manquent d’audace, ont du mal en général à rester dans ces structures. Les trois qualités essentielles de l’intra-entrepreneur à mes yeux sont la curiosité, c’est-à-dire la capacité d’expérimenter par soi-même, l’empathie, indispensable pour être à l’écoute des autres membres du groupe, et la culture de la finesse, qui permet de s’adapter à un environnement changeant.
Quelles conditions une entreprise doit-elle réunir pour adopter ce type d’organisation ?
Le management que je préconise pour l’entreprise était inconcevable jusqu’à la fin du XXe siècle. Ce sont les outils web 2.0 qui l’ont rendu possible, car les individus ont besoin d’énormément d’informations pour être autonome tout en s’appropriant les objectifs du groupe. L’intelligence collective produite par l’organisation en réseaux facilite l’ajustement à un environnement en évolution permanente. Cette organisation ressemble à un match de foot : chaque joueur doit avoir une vision de l’ensemble du terrain pour pouvoir jouer correctement à son échelle.
Le pouvoir au-delà du pouvoir, Michel Hervé et Thibaud Brière, François Bourin Editeur, Paris, 2012, 494 p.
Dominique Pialot & Pascal de Rauglaudre