Les actionnaires ne sont pas propriétaires de l’entreprise
La recherche exclusive de la valeur actionnariale d’une société est non seulement contraire à l’intérêt général, mais souvent aussi à ceux de certaines de ses parties prenantes, et donc à celui de l’entreprise elle-même.
Après un parcours de dirigeant dans l’industrie pharmaceutique et 12 ans de direction de PME, Catherine Dunand accompagne désormais les patrons de PME à la tête de Promontoires, le cabinet de conseil en stratégie et gouvernance dédié aux PME et ETI en croissance, qu’elle a fondé en 2009. C’est dans ce cadre qu’elle a souhaité vulgariser et commenter les thèses de deux académiques reconnus concernant le rôle de l’actionnaire : l’économiste Jean-Philippe Robé et la professeur de droit Lynn Stout, auteure de l’ouvrage « The shareholder value myth ».
Transformation des externalités négatives en profits
Principaux arguments avancés pour remettre en cause une théorie fermement installée depuis Milton Friedman, selon laquelle les dirigeants d’entreprises ne devraient se soucier, dans leur gestion, que de la création de « valeur pour l’actionnaire » : les actionnaires ne sont pas propriétaires de l’entreprise puisqu’ils sont protégés par une personne morale, la société, qui les protège, mais également limite leurs droits. En outre d’autres objectifs, d’autres types de création de valeur et d’autres parties prenantes peuvent et doivent être prises en compte par les dirigeants.
Pis, il n’est pas nécessaire de créer de la valeur pour créer de la « valeur pour l’actionnaire. En favorisant le maintien de systèmes de gouvernement d’entreprise qui convertissent systématiquement des externalités négatives en profit, la maximisation de la “valeur actionnariale” peut finalement nuire au réel intérêt de l’entreprise, notamment sur le plan social.
La France dans une logique de parties prenantes
« La France est plus dans une logique de parties prenantes que de prééminence de l’actionnaire telle que l’a développée Milton Friedman, bien que cette prééminence n’apparaisse nulle part, ni dans la loi, ni dans la jurisprudence », reconnaît Catherine Dunand. L’intérêt social y est ainsi largement admis au sein des conseils d’administration. Mais des décisions que l’entreprise prend dans la perspective de maximisation de la valeur actionnariale peuvent aller à l’encontre de cet intérêt social. C’est le cas notamment du recours aux paradis fiscaux ou encore de l’exploitation des différences entre les législations nationales en matière de droit social et environnemental.
Or, même en France, cette menace existe, et se fait de plus en plus prégnante à mesure que les entreprises croissent, s’internationalisent, et perdent le contact avec leur écosystème d’origine.
Pas d’alignement entre intérêts privés et intérêt général
A l’échelle macro-économique, « cet objectif de maximisation de la valeur actionnariale peut même conduire à des problèmes récurrents de demande insuffisante, de dépenses publiques et de crises de la dette privée et publique, affirme Catherine Dunand, qui conclut : L’idéologie exclusive de la valeur actionnariale aboutit à ce qu’il n’y ait pas d’alignement entre le jeu des intérêts privés et l’intérêt général. »
Certes, face à des réglementations plus strictes, à de nouveaux risques pesant sur la continuité de leur activité et aux exigences de certains investisseurs, nombre d’entreprises commencent à mettre en place des politiques plus responsables, qui peuvent s’avérer moins coûteuses sur le long terme. « Mais L’hétérogénéité des réglementations nationales, en particulier, demeure pour elles une faille intéressante à exploiter, face à laquelle les Etats sont aujourd’hui démunis, à court d’arguments juridiques et économiques », observe Catherine Dunand.
Repenser les pouvoirs des parties prenantes avec les chefs d’entreprise
C’est pourquoi elle juge indispensable un travail de reconstruction, basé sur l’analyse des pouvoirs respectifs des parties prenantes, et intégrant une dimension globale constitutionnelle et organisationnelle, sans naturellement perdre de vue la nécessité pour les entreprises de générer un profit. Et toutes les parties prenantes ont un rôle à y jouer : économistes, politologues, entreprises, Etats et citoyens.
« Les chefs d’entreprise, en particulier les patrons de PME présentes à l’international, sont bien placés pour y contribuer, en faisant équipe en interne, avec leurs salariés, leurs clients, leurs fournisseurs » souligne-t-elle. Ils le feront d’autant mieux qu’ils seront en mesure de décrypter l’environnement globalisé dans lequel ils évoluent. A la tête de Promontoires, Catherine Dunand, qui souligne être en contact avec des dirigeants accaparés par le quotidien, entend précisément leur fournir les clés de lecture nécessaires à la croissance dans le sens de l’intérêt social.
PROMONTOIRES
Dominique Pialot & Pascal de Rauglaudre