L’altruisme, une valeur crédible pour les entreprises ?
Jérémie Mani et Yves Delnatte, deux entrepreneurs du digital, ont lancé Altruwe : un réseau social sans but lucratif qui promeut l’altruisme. Soutenu par de nombreuses personnalités (Matthieu Ricard, Thierry Marx, etc.), ils cherchent autant à fédérer les individus que les entreprises.
Yves, Jérémie, vous êtes entrepreneurs, quelle est la différence fondamentale avec un mouvement associatif?
YD : On pourrait penser, quand on a l’expérience comme nous d’avoir créé, développé, revendu plusieurs entreprises, que se lancer dans le monde associatif est beaucoup plus simple. Après tout, pas de clients, pas d’investisseurs et même la possibilité de s’affranchir de quelques KPIs car « l’idée c’est de faire de son mieux ».
JM : En fait il n’en n’est rien, surtout quand la valeur principale que véhicule cette association – que nous avons appelée Altruwe – est l’altruisme. C’est un mot fort, presque un slogan à lui tout seul. Et pourtant, on y associe trop souvent la naïveté et l’utopie. A la limite, parler d’altruisme dans le monde associatif c’est normal. Mais dans l’entreprise ? Ce serait vu comme un paradoxe! Notre conviction, c’est qu’il n’en n’est rien.
On parle beaucoup d’altruisme, mais n’est-ce pas un vœu pieu, voire une utopie dans un monde le plus souvent compétitif, cynique, divisé?
JM : Nous assumons parfaitement le coté naïf voire utopique de ce mouvement. Mais une utopie murie, réfléchie. Notre conviction, c’est que l’altruisme est LA valeur partagée par tous ceux qui aspirent à changer d’époque. Que ce soit aider les personnes en difficultés dans son quartier, ou creuser des puits en Afrique, il y a cette volonté identique de s’ouvrir aux autres, de ne pas rester ego-centré. Or ceux qui aspirent à cela sont de plus en plus nombreux.
YD : Il est essentiel de cultiver et de partager cette motivation à agir en tenant compte d’autrui. Car par mimétisme social, plus on est confrontés à des actes ou des récits altruistes, plus on le devient soi-même. Notre ambition c’est de créer une dynamique, en fédérant tous ceux qui sont persuadés qu’une société plus altruiste saura mieux faire face aux nombreux défis que sont les nôtres : des inégalités sociales au le réchauffement climatique en passant par la perte de biodiversité et beaucoup d’autres. Humains, animaux, planète : notre sort est lié.
En quoi l’altruisme peut-il s’appliquer aux entreprises?
YD : Si on suit ce raisonnement jusqu’au bout, il est essentiel que cette valeur ne soit pas cantonnée au tissu associatif et infuse le monde de l’entreprise. C’est d’ailleurs souvent déjà le cas! Soit parce que le dirigeant, qui a le pouvoir de changer les choses, influe positivement sur de nouvelles orientations : accroitre le bien-être des salariés au travail, tendre vers des fournisseurs plus respectueux de l’environnement, rendre sa gamme de produits plus éco-responsable, plus durable. Soit parce que c’est toute l’entreprise, en tant qu’entité, qui a pris ce virage.
JM : Beaucoup de ces dirigeants sont inspirés par des philosophes, des religions, des traditions spirituelles… On pourrait penser que les entreprises sont contraintes à devenir plus altruistes par les consommateurs, les jeunes salariés, les lois, les parties prenantes et voire les ONG. A titre personnel, je pense que bon nombre de dirigeants, de cadres et d’actionnaires ressentent tout simplement le besoin de donner plus de sens à leurs actions.
Et dans toutes les enquêtes, les gens font plus confiance aux entreprises qu’au pouvoir politique pour changer les choses.
Beaucoup d’entreprises affichent haut et fort l’altruisme dans leurs valeurs : comment différencier sincérité et opportunisme?
YD : le cynique répondra qu’il ne s’agit que de tactique : j’accrois la qualité de travail de mes collaborateurs pour minimiser les risques qu’ils démissionnent, sachant tous les couts qu’engendre un remplacement. Ou bien je créé un département RSE car cela devient indispensable pour gagner des appels d’offre. C’était peut-être vrai, cela ne l’est plus ou ne le sera plus bien plus vite qu’on le pense. Cette vision réductrice qui consiste à penser que l’entreprise n’a pour seule finalité que de maximiser son profit sera bientôt à ranger dans les livres d’Histoire Économique.
JM : Dans son livre, « l’entreprise altruiste », Isaac Getz donne de nombreux exemples d’entreprises qui « s’enrichissent en donnant tout ». L’auteur montre que le paradoxe n’est qu’apparent, que la richesse économique est la conséquence du fait de prendre soin de son écosystème (clients, fournisseurs, collaborateurs,). Créer des relations, de la richesse humaine, engendre de la richesse économique. Ces entreprises continuent d’aspirer au profit, nécessaire pour leur pérennité, mais elles ne le visent pas, simplement en jouissent – comme une conséquence.
Comment un réseau social peut-il aider les entreprises à devenir plus altruistes?
YD : Notre défi avec altruwe – qui est on le rappelle un mouvement digital, gratuit et sans but lucratif – est de convaincre les entreprises qu’elles peuvent créer un espace pour y diffuser leurs articles ou vidéos « à impact » sans craindre d’être taxé de « washing ». Et de convaincre un grand nombre d’internautes d’accueillir avec bienveillance et curiosité ces contenus, voire de les repartager, pour favoriser le développement de cette inclinaison altruiste au sein de tous les acteurs économiques.
JM : Qui de mieux que vous, membres d’Entrepreneurs d’Avenir, pour nous aider en cela ? N’hésitez pas à nous contacter !
Yves Delnatte & Jérémie Mani, co-fondateur d’Altruwe