La nature actionnaire : Une révolution pour la gouvernance des organisations

Dans son dernier ouvrage, La nature au travail, Frantz Gault nous invite à repenser la relation entre l’humain et la nature et dévoile ses propositions concrètes pour lui donner une voix dans la gouvernance des entreprises.

 

Entrepreneurs d’avenir : Vous venez de publier La nature au travail (EPFL), un livre aussi inédit que salutaire. Avant d’en discuter, pourriez-vous revenir sur le concept fondateur de votre réflexion : la natura laborata ?

Frantz Gault : Contrairement à certaines théories en vogue, mon livre n’estime pas que la nature travaille (natura laborans). Je pars plutôt du principe qu’elle est mise au travail (natura laborata) par les humains, en particulier par les Modernes que nous sommes. Par-delà le clin d’oeil à Spinoza, il s’agit d’un constat que chacun peut faire, et qui permet de penser la nature autrement : non plus comme une marchandise ou une matière première, mais comme un sujet avec lequel on entretient une relation, une relation de travail. C’est un prisme assez puissant car il permet de transformer instantanément notre regard sur la nature, sans invoquer de casuistique juridique ni d’élucubrations mystiques. Aujourd’hui, chacun devine ainsi que la nature est réduite à l’état d’esclavage. Et peut se demander : quelle autre relation de travail pourrait-on nouer avec elle pour mieux la respecter ?

 

Vous suggérez par exemple de considérer la nature comme un actionnaire de nos entreprises. Pouvez-vous nous en dire plus sur vos propositions concrètes ? 

Le scénario consistant à penser la nature comme un actionnaire est le plus ambitieux. D’abord parce qu’il permet de partager les dividendes et de financer la régénération des écosystèmes. Mais aussi parce qu’il donne à la nature une voix, une influence, un droit de vote au conseil d’administration. Certaines entreprises le font déjà, mais d’autres préfèrent des scénarios moins radicaux. Je propose donc deux scénarios supplémentaires dans le livre. Celui d’une nature faisant valoir ses intérêts par voie syndicale, car après tout, si la nature travaille, alors les syndicats devront bien se mettre à défendre ses intérêts. Celui, enfin, celui d’une nature disposant d’un siège au comité de direction, comme cela se fait de plus en plus souvent. Chaque entreprise peut ainsi choisir la formule qui lui convient le mieux.

 

Pourriez-vous justement nous présenter des entreprises qui ont avancé sur ce chemin de la représentation du vivant dans leur gouvernance ?

Oui, il est d’ailleurs important de donner des exemples, pour montrer la faisabilité de ces divers scénarios. Et c’est en Belgique qu’on trouvera les exemples les plus anciens et les plus nombreux, puisque depuis 2021, une dizaine d’entreprises ont mis en place des comités permettant de représenter la nature et les générations futures auprès de leurs dirigeants. Par ailleurs, les lecteurs sont probablement familiers avec d’autres exemples plus récents, notamment celui de Patagonia et de Faith in Nature. Mais le plus inspirant de tous me semble être celui de Norsys. Dans cette entreprise française de 750 salariés, en effet, les trois scénarios dont je viens de parler ont été adoptés. Y coexistent ainsi, à différents niveaux de la gouvernance, plusieurs représentants de la nature réunis dans un Haut Conseil. Et cerise sur le gâteau : la nature est également actionnaire, elle peut convoquer le conseil d’administration, et dispose même d’un droit de veto sur la stratégie de l’entreprise ! C’est un sacré progrès car lorsque j’ai commencé à travailler sur le sujet, en 2020, il n’existait aucun exemple et je faisais surtout face… à des moqueries (rires).

 

Avec ce livre, vous tentez finalement un exercice de haute voltige : celui de réconcilier entreprise et nature. Mais nos cadres mentaux et juridiques autorisent-ils ce projet ?

D’un point de vue légal, il est vrai que la nature ne peut pas être traitée comme un véritable travailleur ou actionnaire, car nos vieux pays lui refusent le statut de personne juridique. Pour autant, il existe tout un tas d’astuces permettant de contourner cette limite, et c’est bien pourquoi mes scénarios ont pu être mis en application sans difficulté. Sur le registre des mentalités, en revanche, c’est plus compliqué… Il est certes vrai que nous sommes nombreux à vouloir sauver la planète, mais il existe une certaine confusion sur ce que l’on met derrière ce combat. Bien souvent, ce sont surtout les humains, et notamment les générations futures, que l’on cherche à sauver. On reste donc dans une conception anthropocentrique et occidentale des choses, ce qui me fait douter de notre capacité à infléchir le cours de l’histoire… Qu’à cela ne tienne, une brèche a été ouverte par d’éminents penseurs tels que Philippe Descola et Bruno Latour, et je me suis engouffré dans cette brèche pour soulever une question trop souvent ignorée par ces intellectuels : comment repenser l’économie et l’entreprise si la nature s’émancipe de sa condition de matière première ?

 

Vous serez témoin lors de l’Université de la Terre, le 14 mars 2025. Que voulez-vous énoncer d’essentiel lors de votre intervention ?

Je compte évidemment rappeler qu’aux origines de la crise écologique, se situe notre façon de penser la nature, notre manie à la considérer comme une ressource. Fort heureusement, ce n’est pas une fatalité, car ce n’est jamais là qu’un axiome, une croyance. Il est possible de changer ce paradigme, et c’est ce que j’essaye modestement de faire en donnant une voix à la nature dans la gouvernance de nos organisations. D’ici le mois de mars, j‘aurai d’ailleurs matière à démontrer l’intéret de cette nouvelle façon d’organiser nos entreprises. En effet, la société Norsys dont j’ai évoqué le cas précédemment, m’a chargé de représenter la nature au sein de son conseil d’administration. J’en suis très honoré, tout en mesurant bien l’ampleur de la tâche. Car pour paraphraser Victor Hugo : la nature parle, mais nous avons perdu l’habitude de l’écouter !

 

Retrouvez Frantz Gault à l’Université de la terre les 14 & 15 mars 2025

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