Jean-François Zobrist, chantre de l’entreprise libérée
En novembre dernier, sous le titre « Changer de leadership pour changer la société », le Parlement des Entrepreneurs d’avenir consacrait une matinée entière à la nécessité de faire émerger un leadership porté par des hommes et des femmes aux valeurs, à l’éthique et aux pratiques réinventées. L’occasion pour « La Une RSE » d’entamer une série d’articles dédiée au « Management 2.0 », avec un premier sujet consacré à Jean-François Zobrist, héraut de « l’entreprise libérée ».
La responsabilité des salariés, levier de performance
Théorisée par Isaac Getz, professeur de leardership et d’innovation à l’ESCP Europe, l’entreprise libérée est celle qui libère l’initiative et dans laquelle la responsabilisation des salariés devient un levier de performance.
Elle se caractérise par des lignes hiérarchiques qui s’estompent pour laisser la place à des organigrammes aplatis ; la disparition des attributs du pouvoir (voiture de fonction, places de parking réservées…) et un rôle totalement réinventé pour les managers, où le leadership prend la place du contrôle. Au service de leurs collaborateurs, ils leur laissent la liberté de décider eux-mêmes de leurs actions dans leur périmètre de responsabilité.
Des principes appliqués avec succès pendant 30 ans
Patron du leader mondial en fonderie sous pression d’alliages cuivreux, et sous-traitant automobile Favi pendant 30 ans jusqu’à sa retraite en 2009, Jean-François Zobrist est probablement le seul, en France, à avoir appliqué aussi longtemps et avec autant de succès les principes de l’entreprise libérée. Des principes qu’il prône aujourd’hui au sein des entreprises, lors de nombreuses conférences (70 rien qu’en 2013), ce qui lui donne l’occasion de marteler quelques convictions iconoclastes : « L’homme est bon par principe » ; « Quoi qu’on fasse, cela doit servir à l’amour du client, interne ou externe » ; « RH, cela doit signifier ‘Rendre heureux’ » ; « Seuls les ouvriers et les commerciaux créent de la valeur dans l’entreprise », etc.
Le bonheur des opérateurs, condition sine qua non de la réussite
Toutes ces affirmations illustrent aux yeux de Jean-François Zobrist les conditions sine qua non d’une entreprise performante. La performance étant due aux opérateurs (par opposition aux managers) et découlant directement du bonheur, il s’agit donc de rendre les opérateurs heureux. « Un ouvrier heureux, c’est un client heureux, et du résultat pour l’entreprise », affirme-t-il encore. Et un ouvrier heureux doit avoir la conscience du pourquoi et pour qui, l’amour du client et la liberté du « comment ».
Concrètement, à la tête de Favi, Jean-François Zobrist a supprimé le service qualité, les primes individualisées, le reporting, les réunions, la pointeuse… Mais il a aussi placé les telex (ancêtres des fax eux-mêmes remplacés par les courriels…) au beau milieu des ouvriers, afin qu’ils comprennent précisément pour quoi et qui ils travaillent. En l’occurrence, pour leurs clients et non pour leur supérieur hiérarchique, qui n’existe d’ailleurs pas puisque les échelons avaient été limités au strict minimum, deux niveaux.
Résultat, une croissance annuelle de 10 %, et un taux d’accidentologie égal au quart de la moyenne de la profession !
Le manager responsable, une espèce en voie d’apparition ?
La bête noire de l’ancien patron, ce sont les fonctions support, et avant tout, les managers, ceux dont la fonction consiste à encadrer et à dicter aux ouvriers leurs faits et gestes. Il l’affirme, le coût du contrôle est supérieur au coût total des déviances qui pourraient survenir en son absence. Aussi Jean-François Zobrist considère-t-il avec une grande méfiance les initiatives récentes qui visent à former des « managers responsables ».
En attendant, le sujet de l’entreprise libérée est étudié avec beaucoup d’intérêt par des chercheurs en management, notamment à l’école de commerce Audencia de Nantes.
Dominique Pialot & Pascal de Rauglaudre / crédit photo : Hervé Thouroude