Genesis : Évaluer et noter la qualité des sols pour une agriculture régénératrice
Co-fondatrice de Genesis, Adrienne de Malleray témoigne de son parcours et de son engagement pour une agriculture durable, en mettant l’accent sur la santé des sols et les pratiques régénératrices pour préserver les écosystèmes et soutenir les agriculteurs.
Entrepreneurs d’avenir : Vous êtes co-fondatrice de l’entreprise française Genesis, une agence de notation indépendante des sols agricoles. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre parcours et ce qui vous a amenée à vouloir créer cette entreprise ?
Adrienne de Malleray : Mon engagement dans ce projet est autant le fruit de mon expérience personnelle que professionnelle. J’ai grandi en zone rurale, mes parents étaient exploitants agricoles, et j’ai été très tôt sensibilisée au rôle crucial de cette profession qui a une mission d’intérêt général bien supérieure à la plupart des autres métiers. L’agriculteur est le gardien du paysage, et le garant de notre alimentation.
Plus tard, en tant que journaliste, j’ai été amenée à traiter d’agriculture et d’environnement régulièrement, mais presque systématiquement en opposant les deux sujets. La production agricole devenait synonyme de pollution ou de destruction des écosystèmes.
La création de Genesis a répondu à mon besoin de réconcilier les deux.
En agissant sur l’amélioration de la santé des sols, Genesis répond à deux besoins essentiels : soutenir économiquement les agriculteurs en protégeant leur sol qui est leur principal moyen de production, et préserver nos écosystèmes.
Le diagnostic que vous proposez permet de mesurer de façon quantitative la santé des sols, et donc leur résilience : quels sont vos constats, et comment accompagnez-vous vos clients à la suite de votre diagnostic ?
D’après l’ONU, 40% des terres sont aujourd’hui dégradées et leur productivité biologique ou économique est réduite. La dégradation des sols découle de pratiques agricoles inadaptées. Cela affecte leur résilience face au changement climatique, aux inondations et aux sécheresses et leur capacité à nous fournir des récoltes stables dans le temps.
Mon premier enjeu est de reconnecter les industriels au monde agricole.
On réduit souvent l’agriculture à l’alimentation, la réalité c’est que l’agriculture approvisionne de nombreux secteurs : le textile, l’ameublement, la cosmétique, les biocarburants … C’est plus de 50% du PIB mondial qui repose sur l’agriculture. Ces industriels sont très éloignés du monde agricole et des modes de production.
Genesis veut recréer ce lien en fournissant un système d’information simple sur l’état de la ressource -l’état de nos terres agricoles- pour aligner tous les acteurs de la chaîne de valeur, de l’agriculteur jusqu’au PDG d’un groupe industriel.
Je commence par là car il faut comprendre qu’on ne peut accuser les entreprises de vouloir abîmer notre planète, s’ils ne disposent pas des informations nécessaires pour guider leurs décisions. C’est aussi la clé de la valorisation des agricultures les plus vertueuses.
Cette prise de conscience est urgente, en effet quelle que soit la zone géographique où Genesis se déploie : de l’Amérique du Sud à l’Europe, en passant par l’Asie, nous constatons que les sols sont dégradés mettant déjà en péril non seulement nos écosystèmes, mais aussi la pérennité des rendements.
Nous classons l’état de santé des sols en 5 catégories allant d’excellent à critique. Si une majorité d’entre eux se situent dans un état moyen, les sols d’où proviennent certaines matières premières atteignent aujourd’hui des niveaux alarmants de dégradation.
Dans le même temps, nous avons aussi constaté que d’autres pratiques sur les mêmes cultures pouvaient conduire à des résultats opposés. Cette dégradation n’est donc pas inéluctable.
Vous dites encourager notamment l’adoption de pratiques régénératrices : comment travaillez-vous avec les grandes marques, et quels sont vos résultats en ce sens ?
Notre premier rôle consiste à fournir des informations fiables par pays et par mode de culture sur l’impact des modes de production.
Concrètement nous faisons des prélèvements de sols et étudions les stocks de carbone et les potentiels de stockage, le degré d’érosion, mais aussi l’impact des cultures sur la biodiversité du sol et la biodiversité aérienne, ou encore sur l’eau.
Ces informations permettent à nos clients d’établir des feuilles de route de transition. Ils priorisent les matières premières sur lesquelles ils veulent engager des transitions. Nous les aidons également à déterminer à une échelle plus ou moins fine la ou les pratiques agricoles à prioriser pour engager les transformations les plus impactantes à grande échelle, par exemple l’agroforesterie. Bien évidemment les sols sont très différents en Europe ou en Asie ou encore en Amérique centrale, il n’y a pas une pratique qui soit réplicable à l’identique partout dans le monde.
Ensuite nous accompagnons nos clients qu’ils soient fournisseurs ou acheteurs de matières premières dans la mise en place de filières vertueuses, sur la base d’impacts mesurés.
Nous créons de la préférence pour les systèmes de production à impact positif, ce qui permet aussi de fournir de meilleurs débouchés aux agriculteurs issus de ces filières.
L’Université de la terre se tiendra les 14 & 15 mars prochains à l’UNESCO pour aborder divers sujets autour du thème « Nature = Futur ». Alors que le modèle agricole productiviste subit la crise de plein fouet, les études scientifiques se suivent pour dénoncer ses impasses sanitaires et environnementales. Pensez-vous qu’un système respectueux du vivant et des écosystèmes soit réellement envisageable, tout en garantissant une juste rémunération des producteurs ?
Si je n’en étais pas convaincue, je n’aurais pas lancé Genesis.
Cette transition doit avoir lieu pour nous protéger … Si elle ne protège pas le principal acteur du vivant, elle est vouée à l’échec.