Etienne de Rocquigny : L’intelligence artificielle pourra-t-elle allier performance et soutenabilité ?

Etienne de Rocquigny, fondateur de Blaise Pascal Advisors, explore comment l'intelligence artificielle peut transformer les entreprises en conciliant performance économique et développement durable

 

Entrepreneurs d’avenir : Vous accompagnez aujourd’hui des entrepreneurs avec Blaise Pascal Advisors, qui a ouvert en 2024 de nombreux fronts pour remettre l’IA au service de l’entreprenariat, notamment pour aligner croissance et durabilité : quels sont vos travaux récents, et quels en sont les résultats ?

Notre conviction : en tant que moteur universel de gains d’efficacité, l’IA mérite d’être mise au service du développement durable. A condition de retravailler en profondeur la stratégie, c’est faisable comme le montrent de nombreux exemples.

C’est le cas de Lianaka, filiale co-créée avec le groupe Fondasol après des années d’accompagnement stratégique du pivot IA de cette ETI leader de son marché et dotée d’un capital data exceptionnel : 50 ans d’investigations de sols partout en France. L’objectif est de réinventer l’ingénierie des sols en alignant réduction massive des coûts et délais pour le client, et décarbonation via des forages drastiquement réduits : en associant l’expertise humaine, des données très originales et une IA métier robuste, car le cœur de métier est l’analyse de risques.

De manière plus exploratoire, nous avons poursuivi l’aventure passionnante du concours mondial Blaise Pascal Sustainable Quantum AI Challenge, initiative que j’ai cofondée avec le CEO de Pasqal, leader français du quantique, l’an dernier. Car l’ordinateur quantique présente une promesse très forte, bien qu’encore incertaine : réduire massivement la consommation énergétique du calcul, en particulier de l’IA. Mais ceci resterait pervers si les usages eux-mêmes restent addictifs et polluants. D’où l’ambition de promouvoir des cas d’usage IA authentiquement alignés sur les ODD de l’ONU, tout en décarbonant massivement l’IA grâce à l’ordinateur quantique. Annoncés à l’AI Action Summit les 15 meilleurs projets mondiaux portés par des étudiants et jeunes innovateurs, parmi près de 1000 candidats, y compris provenant du Bangladesh, du Nigeria, révèlent une créativité mondiale impressionnante : depuis la prévention des feux de forêt à l’optimisation de la protection des zones de biodiversité marine, en passant par la recherche de médicaments massivement plus accessibles.

 

Vous suggérez notamment de reconsidérer la rationalité économique de l’IA : comment cela peut-il fonctionner ?

L’économie française en berne, les innombrables POC sans lendemain de l’IA, les startups peinant à se refinancer, le retrait de nombre de fonds « à impact » … : tout ceci nous rappelle le bon sens. Sans rationalité économique solide, il n’y a tout simplement pas d’IA qui vaille … ni non plus de transition écologique qui dure. «  It’s the economy, stupid ! »

Pourtant il n’y a pas de fatalité à céder à l’IA addictive et mimétique, pour finir avec des POC sans lendemain, des coûts qui explosent et une facture énergétique exponentielle. Bien au contraire, il y a matière à réaligner l’économie et la scalabilité, la durabilité et la raison d’être par l’usage juste et ambitieux de l’IA.

La clé est effectivement reconsidérer la rationalité économique des bénéfices de l’IA, autrement dit de l’automatisation interactive et apprenante sans se faire piéger par la rhétorique. Quelle réduction réelle des coûts, quelle adoption durablement motivante, quelle expérience client vraiment convaincante ? Très souvent, gaspillage et gabegie sont autant économiques qu’environnementaux et humains: énergie perdue, stocks invendus, chantiers ralentis, transports inutiles, recrutements désalignés, addictions. Etre hyper-lucide au plan économique: c’est tout l’enjeu Sustainable AI pour éviter tout autant le déni suicidaire que la mimétisme glouton sans lendemain.

 

Pensez-vous qu’un usage juste et responsable de l’IA soit possible ? Comment pouvons-nous mettre l’efficacité de l’IA au service du bien commun ?

C’est évidemment possible … à condition de le vouloir vraiment ! A nouveau, c’est bien souvent de nous-mêmes – usagers, consommateurs ou dirigeants d’entreprises – que viennent les déviances.

Mimétisme, divertissement ou fuite des responsabilités (« c’est la faute à l’IA ») nous piègent dans des usages lobotomisants. Là où la lucidité déjouant la rhétorique montre que l’IA désigne tout simplement un ensemble de machines universellement efficaces. L’efficacité … de quoi, pour quoi, pour qui … ? L’IA est incapable de répondre à ces questions : l’IA n’a aucun sens … autre que celui que lui donneront les personnes humaines, du concepteur à l’utilisateur.

Chacun y a son rôle : en me servant de telle IA pour faire cela et non pas cela, je vote économiquement … et l’IA s’adapte (plus précisément, ses promoteurs adaptent leur offre). La grande illusion paresseuse consiste à croire qu’il suffirait d’un grand règlement mondial pour assurer définitivement la justice et le bien commun algorithmique … mais l’IA n’est rien d’autre qu’une extension systématique des décisions humaines ! Ce n’est donc qu’au travers du laborieux tâtonnement des micro-décisions économiques et l’exploration patiente de règlements toujours incomplets avec l’implication de toutes les parties prenantes que l’on peut espérer ajuster peu à peu les usages.

 

Vous faites partie des experts qui ont été réunis en juin 2024 dans le cadre des Cercles de la terre pour traiter du sujet « L’intelligence artificielle, générative ou régénérative ? » : quels sont les enseignements et conclusions que vous avez pu en tirer ?

C’est précisément l’un des lieux où l’on peut se réjouir de l’implication de parties prenantes diverses pour discerner par tâtonnement les combats et les usages. Il faut partager les retours d’expérience, avec honnêteté et bienveillance. Ce n’est que par l’usage de terrain en quête sincère et proactive mais humble que l’on peut espérer collectivement devenir de « meilleurs gérants de la maison commune » grâce aux moyens exceptionnels de l’IA.

Pour aborder un avenir aussi défié par l’IA et le changement climatique, il n’est pas inutile de méditer l’histoire, d’où ce clin d’œil pour finir : « l’Economique », dialogue de Xénophon de l’époque grecque classique est le premier texte de l’histoire à mentionner le terme : l’économique y désigne la gestion raisonnée et bienveillante de l’oikos, la maison commune entendue aussi bien comme environnement naturel, fabrique technique et communauté des parties prenantes (personnes humaines … et même les animaux). L’IA générative devrait nous permettre d’honorer la promesse « économique » de Xénophon.

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