Daniel Anghelone : “Transformer l’entreprise pour respecter les limites planétaires”
Une interview de Daniel Anghelone, directeur général de Bontaz, présent dans 11 pays, avec 24 usines et 4000 collaborateurs. C’est 1 véhicule sur 2 dans le monde qui est équipé d’un sous-ensemble Bontaz. Un aperçu des défis industriels et technologiques de demain à l'aune des grandes transitions.
Issu d’une famille d’ouvriers, Daniel est né et a grandi en Haute-Savoie, dans la Vallée de l’Arve, capitale mondiale du décolletage. Expert-comptable de formation il a naturellement débuté sa carrière professionnelle en cabinet d’expertise comptable. Rapidement il s’est orienté vers le monde de l’entreprise, secteur finalement beaucoup plus attractif à ses yeux. Après diverses expériences en contrôle de gestion ou direction financière il a rejoint l’entreprise familiale Bontaz en 1997 lorsqu’elle débutait son expansion internationale, au poste de directeur financier.
Entrepreneurs d’avenir : Comment un dirigeant d’une entreprise industrielle de la taille de celle de Bontaz peut agir à l’échelle de la planète ?
Daniel Anghelone : Après plus de 20 ans au contact d’Yves Bontaz, fondateur de l’entreprise, j’ai appris et compris que tout ce que l’on m’avait enseigné pendant mes études me serait grandement … inutile !
L’audace, le goût du risque, le challenge, la simplicité, le refus de se prendre au sérieux, la relation humaine, l’engagement, voilà les valeurs qui le caractérisaient et qui caractérisaient l’entreprise. Elles ont modelé ma vision de l’entreprise et de son rôle. Elles ont également permis au groupe Bontaz de s’adapter aux bouleversements du monde automobile du début des années 2000 et des différentes crises traversées depuis.
J’occupe depuis 10 ans le poste de directeur général du groupe. Ma mission pour les 10 prochaines années est de faire en sorte de transformer l’entreprise pour qu’elle contribue au respect des limites planétaires.
Quels sont les fondements de votre démarche de dirigeant et vos motivations ? Quels constats faites-vous de l’époque actuelle et quelles sont les convictions qui vous animent ?
On constate que trois transformations majeures sont en cours dans le monde :
– le réchauffement climatique avec ses nombreux impacts environnementaux, économiques et sociaux
– une raréfaction de la disponibilité des énergies fossiles
– et une raréfaction des matières premières métalliques
et cela va fortement impacter les entreprises industrielles comme Bontaz.
Il est important de prendre de conscience de l’urgence et de la gravité de la situation. C’est la seule manière de ne pas faire de mauvais choix stratégiques. Ce qui ne garantit pas pour autant de faire les bons !
Il me semble important de comprendre qu’une entreprise industrielle doit se réinventer complètement et sortir du modèle linéaire : puiser dans les ressources (en polluant) et transformer de la matière (encore en polluant). Un autre modèle doit être inventé pour rendre les activités durables, et donc assurer la pérennité des entreprises.
Comment vos convictions se traduisent-elles en termes d’engagement et d’actions auprès des parties prenantes ? Pourquoi avoir rejoint récemment le mouvement des Entrepreneurs d’avenir ?
A mon niveau j’essaie de bien comprendre les changements en cours et leurs impacts sur notre activité. Mon objectif est de faire les bons choix stratégiques pour Bontaz. Mais une fois que j’ai acquis certaines connaissances, il me semble fondamental d’en faire profiter les collaborateurs de Bontaz ou les écosystèmes dans lesquels Bontaz est présent.
J’essaie donc d’intervenir auprès des instances professionnelles (FIEV, Fédération des Industries des Equipements pour Véhicules, pôle de compétitivité CARA, etc.) pour sensibiliser sur l’urgence climatique et les transformations en cours dans l’industrie.
J’essaie également de sensibiliser l’écosystème industriel Haut-Savoyard via la création des FIPS par exemple (Force industrielles des Pays de Savoie) : mise en intelligence collective d’une cinquantaine d’entreprises industrielles afin d’anticiper et gérer la transition environnementale. Cette sensibilisation locale passe également par l’organisation de conférences, comme celle de mars 2023 avec Jean-Marc Jancovici.
En interne nous avons formé des animateurs de la Fresque du Climat avec comme objectif que chaque collaborateur de Bontaz ait fait une session de la Fresque en 2023. Et je rencontre régulièrement les collaborateurs de l’entreprise pour des séances de questions/réponses pendant lesquelles j’insiste sur ces enjeux sociaux et environnementaux qui nous font face.
Le mouvement des Entrepreneurs d’avenir s’inscrit parfaitement dans cette dynamique. En effet il est très difficile d’appréhender tous les bouleversements à avenir dans l’industrie. Il est donc fondamental d’être dans un réseau qui rassemble des personnes conscientes et très bien informées des enjeux.
Cela réduit l’anxiété, la solitude que l’on ressent en tant que dirigeant et cela apporte des solutions concrètes !
Si vous aviez une baguette magique pour tout déclencher rapidement, quels sont vos besoins et demandes pour aller plus loin dans votre engagement ?
Dans l’industrie tous nos choix ont des impacts à long terme. Il est donc important d’avoir de la visibilité. J’aimerais qu’aujourd’hui il y ait un plan plus clair au niveau européen, ou a minima français, sur la trajectoire à prendre dans tous les domaines : mobilité décarbonée, aéronautique, etc.
Cela permettrait de faire les bons choix stratégiques et d’orienter nos investissements dans la bonne direction.
Réduire l’incertitude est fondamental. A titre plus personnel j’aimerais peser encore plus dans les différents débats. Mais il est compliqué d’être partout !