Comment favoriser les fondations actionnaires en France ?
Autorisées par la loi depuis 2005, les fondations actionnaires n’existent quasiment pas en France. Xavier Delsol et Virginie Seghers s’attaquent aux freins qui bloquent le développement d’un statut favorisant à la fois l’intérêt général et la pérennité des entreprises.
Dans un contexte de rapprochement entre le monde de l’entreprise capitaliste classique et celui de l’économie sociale et solidaire, Xavier Delsol et Virginie Seghers ont décidé de s’intéresser aux fondations actionnaires. Le premier, avocat associé du cabinet éponyme, a été précurseur dans l’approche juridique des organisations à but non lucratif et la seconde, experte de la philanthropie et de l’entrepreneuriat social, conseille des entreprises françaises et internationales depuis près de vingt ans. Co-fondatrice avec Geneviève Ferone du cabinet Prophil, elle promeut une nouvelle philanthropie plus entrepreneuriale, allant du don classique aux coopérations économiques hybrides entre des entreprises et des acteurs de l’intérêt général.
A leurs yeux, les fondations actionnaires pourraient constituer l’une des manifestations les plus abouties du rapprochement entre ces deux mondes, à la fois comme outil de protection du capital des entreprises, et comme nouvelle source de financement pour les activités d’intérêt général.
Pierre Fabre et la loi d’août 2005
N’était un obstacle qui semble bloquer leur développement en France. En effet, la loi du 5 août 2005, aménagée pour favoriser la transmission de l’entreprise Pierre Fabre, autorise une fondation à posséder des parts d’une entreprise, mais, à l’inverse de ce qui s’observe dans les pays anglo-saxons et nordiques, cette possibilité n’a quasiment jamais été exploitée depuis.
Introduit à la demande de Pierre Fabre afin de lui permettre de léguer son entreprise, l’article 29, intégré à l’article 18-3 de la loi du 23 juillet 1987, s’inscrit dans la « loi pour l’initiative économique » (loi Dutreil), notamment dans le but de faciliter la transmission et la reprise des PME ainsi que pour éviter soit la vente à l’étranger, soit la dislocation de l’appareil productif et les pertes d’emplois qui en résultent.
La loi d’août 2005 stipule que « Dans le cadre d’une opération de cession ou de transmission d’entreprise, une fondation reconnue d’utilité publique peut recevoir des parts sociales ou des actions d’une société ayant une activité industrielle ou commerciale, sans limitation de seuil ou de droits de vote, à la condition que soit respecté le principe de spécialité de la fondation. »
Des avantages fiscaux accordés sous conditions
Pourtant, pour Xavier Delsol, « Rien ne s’oppose, ou ne devrait s’opposer, à ce que la société ainsi détenue ait un objet social distinct de celui de la fondation, car la gestion de la dotation est une fin et non pas un moyen. »
Il est par ailleurs admis que la gestion d’une filiale, même à 100 %, ne « contamine » l’organisme non lucratif actionnaire que s’il existe une complémentarité et des relations privilégiées entre eux (instruction du 18 décembre 2006, BOI 4H-5-06, reprise au BOFiP).
En l’espèce, « c’est la fondation, et sa finalité sociale et d’utilité publique qui « contaminera » ainsi l’entreprise, et non l’inverse », affirment en chœur Xavier Delsol et Virginie Seghers.
Sur le plan fiscal, l’impôt sur les sociétés est payé en amont dans la filiale avant distribution, mais la fondation échappe à toute imposition sur ses dividendes (article 206-5 du CGI). En outre, la transmission des parts ou actions à titre gratuit est exonérée des droits de mutation (article 795 du CGI).
Ce point explique probablement en partie la réticence de l’administration fiscale.
C’est le Conseil d’Etat qui accorde le statut de fondation à une structure, et celle-ci reste par la suite soumise à un contrôle de la part de multiples organes dont le ministère de l’Intérieur ou son autre ministère de tutelle, mais aussi l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), la Cour des comptes, la Mission interministérielle d’inspection du logement social (MIILOS) ainsi que les commissaires aux comptes.
Un outil à la disposition des PME et TPE
« Il ne faut pas se focaliser sur le cas Pierre Fabre ou les grandes entreprises étrangères emblématiques détenues par une fondation (Bosch, Rolex, Carlsberg,…) , souligne Xavier Delsol. Ce régime ne s’applique pas qu’aux grandes entreprises, il est aussi d’un très grand intérêt pour les PME, voire les TPE, plus souvent familiales, détenues et contrôlée par une seule personne, laquelle peut être sans successeur et sans que les salariés ne souhaitent, ou ne puissent, reprendre eux-mêmes la direction. » Ces fondations sont régies la plupart du temps par une charte exprimant les volontés du donateur en termes de gestion de l’entreprise, de gouvernance, des causes à soutenir, etc.
Les enseignements des pays nordiques
Quoi qu’il en soit, la France accuse un net retard sur le sujet en comparaison d’autres pays européens. Selon une étude comparative menée par le Centre européen des fondations en 2011, l’Allemagne compte 450 fondations actionnaires sur un total de 20 000 fondations et au Danemark, 1 300 fondations détiennent des entreprises qui pèsent 1/5eme de l’emploi privé, et 54% de la capitalisation boursière de Copenhague. Dans ces pays, comme en Suisse, en Norvège ou aux Pays-Bas, les fondations peuvent exercer une activité d’intérêt général et d’intérêt privé (« both public and private benefit purpose »).
Au Danemark, la seule mission de gérer une entreprise pour le bien de la société peut être considérée comme une mission philanthropique suffisante (« commercial foundation »), même si de fait la majorité des fondations actionnaires déploient également des actions philanthropiques.
Afin d’examiner plus en détail le fonctionnement des fondations actionnaires dans les autres pays et d’étudier dans quelle mesure il serait transposable en France, le cabinet Delsol et Prophil lancent une étude plus approfondie sur quelques pays, autour de questions fondamentales portant sur la performance des entreprises ainsi détenues par des actionnaires a priori désintéressés, l’utilisation des fonds et les limites de l’intérêt général ou encore la gouvernance. Ce travail, qui devrait également se faire en coopération avec la Chaire de Philanthropie de l’Essec pour un élargissement à l’échelle européenne, devrait être présenté fin 2014 ou début 2015.
DELSOL
PROPHIL
Dominique Pialot & Pascal de Rauglaudre