La Haute école des arts du Rhin : l’art, un levier de transformation sociétal

À la tête de la Haute école des arts du Rhin (HEAR), Stéphane Sauzedde défend une approche résolument contemporaine et engagée de l’enseignement artistique. Entre écologie, questions sociétales et collaborations internationales, il imagine une école ancrée dans son territoire et connectée aux grands enjeux du monde. Entretien avec un directeur qui veut faire de l’art un levier de transformation.

 

Entrepreneurs d’avenir : Stéphane, vous êtes Directeur de la Haute école des arts du Rhin (HEAR), une école supérieure qui vise à promouvoir un modèle original d’enseignements artistiques favorisant la porosité et la synergie des arts. Pouvez-vous rapidement nous parler de votre parcours, et de l’école que vous dirigez ?

Stéphane Sauzedde : Je suis arrivé à la HEAR il y a deux ans, après avoir dirigé l’ESAAA, à Annecy et coprésidé l’ANdEA, l’association nationale des écoles d’art et design. Je suis donc actuellement et depuis quelques années un directeur d’établissement public d’enseignement supérieur artistique – mais, par mon parcours, je viens des pratiques curatoriales, éditoriales et de la recherche en art.

La Haute école des arts du Rhin que je dirige aujourd’hui est une des grandes écoles publiques françaises pour la création, en Art, Musique, Communication et Design – celle qui offre, au niveau national, la plus grande variété de formations, toutes de très grande qualité et appuyées sur l’histoire plus que centenaire de l’établissement.

La HEAR est installée à Mulhouse et à Strasbourg, et prépare chaque année près de 800 étudiant·es à des diplômes spécialisés de niveau Licence, Master et Doctorat. Sa situation frontalière avec la Suisse et l’Allemagne en fait un établissement particulièrement européen et international – c’est d’ailleurs pour cela qu’elle s’appelle « haute » école, comme en Suisse ou comme les hochschulen allemandes. Enfin, bien que trois fois héritière du passé, d’une école des Beaux-Arts, d’une autre des Arts décoratifs et d’un conservatoire supérieur de Musique, la HEAR est particulièrement engagée dans son époque et tâche d’être une institution à l’heure de la surchauffe climatique, de l’effondrement de la biodiversité et des tensions géopolitiques – une haute école radicalement contemporaine !

 

La HEAR est membre de l’Association nationale des écoles supérieures d’art et design publiques (ANdÉA), qui se positionne comme un réseau prenant en compte les questions écologiques et sociétales dans ses formations. Comment ces ambitions impactent-elles vos formations, vos enseignements et vos pratiques ?

La HEAR est en effet parfaitement en phase avec l’ambition écologique et sociétale de l’ANdEA – mais il faudrait presque le dire dans l’autre sens puisque l’ANdEA est une structure qui associe et fait la synthèse de ce que les 45 écoles supérieures d’art et design françaises portent partout sur le territoire national !

Pour la HEAR, travailler les questions écologiques et sociétales, c’est d’abord soutenir des pratiques pédagogiques qui s’y rapportent : séminaires thématiques, cours théoriques et apprentissages techniques, ateliers dédiés, cycle de conférences, projets et productions artistiques sur le sujet, etc.

C’est ensuite mettre en place des dispositifs particuliers qui connectent l’école à d’autres partenaires et d’autres concerné·es par ces questions.
Par exemple, en matière d’écologie, nous travaillons depuis plusieurs années avec l’Office Français de la Biodiversité, mais aussi avec les Parcs Naturels Régionaux, des associations locales, des collectifs citoyens, des laboratoires de recherche en sciences de la Terre… et tout cela permet à la HEAR de proposer, depuis cette année, un « Festival du Rhin, des fleuves et des rivières » rassemblant une dizaine de projets artistiques qui traitent d’écologie…
Pour les questions sociétales, de la même façon, nous avons plusieurs dispositifs qui nous permettent, par exemple, d’affirmer une politique de l’hospitalité pour les artistes du Sud Global et/ou des pays percutés par les crises politiques… Ou, autre exemple, de travailler avec les lycées populaires du territoire mulhousien et strasbourgeois pour accompagner des élèves sur trois ans et leur permettre d’intégrer directement l’école après le Bac – l’objectif étant de déjouer les statistiques de réussite au concours d’entrée qui est très sélectif… Nous avons aussi une « école des interventions », centre de formation où les jeunes artistes des arts visuels, de la musique et du son, peuvent se former à l’intervention artistique auprès et avec les personnes et les territoires vulnérables… Il y a beaucoup de dispositifs en fait, dans quasiment tous les endroits de l’école, parce que les questions « sociétales » sont nombreuses !

Pour conclure sur « l’ambition » de la HEAR sur ces sujets, je peux ajouter qu’au niveau de l’institution nous avons un plan d’actions et un projet d’établissement dans lesquels les questions écologiques et sociétales sont centrales et cela produit une colonne vertébrale pour tout le reste. Pour la gestion des matériaux nécessaires à la création (usage majoritaire du réemploi, circuit court, …), pour la stratégie internationale (attachement au bassin versant du Rhin, mise en place d’un internationalisme de proximité avec les communautés présentes à Mulhouse et Strasbourg, déplacements raisonnés, …), pour le soin à apporter à nos outils de travail et nos bâtiments, pour les méthodes et l’attention aux enjeux de gouvernance, etc.

 

Vous vous dites sensible aux questions liées à l’eau et à notre environnement, et proposez d’ailleurs de considérer la HEAR comme faisant partie d’un réseau d’« écoles fluviales. » Pouvez-vous nous en dire davantage sur vos projets en ce sens, et leur résonnance avec l’actualité environnementale ?

La HEAR est en effet, littéralement, dans son nom-même, la haute école des arts d’un fleuve, le Rhin, et cela la rend pour le moins sensible aux questions liées à l’eau – immense sujet écologique pour aujourd’hui et pour demain. En effet, cette ressource fait figure d’or bleu que certains voudraient accaparer pour des méga-bassines, des canons à neige, des barrages et autres gestes extractivistes… Alors que ce bien commun est essentiel aux humains vivants que nous sommes – sans parler des non-humains avec qui nous cohabitons.
Pour ces raisons fondamentalement politiques car elles concernent la cité, son organisation et sa gestion, la HEAR met en effet actuellement en place un réseau européen d’écoles d’art des fleuves. Il s’agit de rassembler des établissements qui comme la HEAR voisinent des fleuves et des rivières, et dans lesquelles sont menés des projets artistiques de ré-attachement aux entités aqueuses, aux hydrosystèmes et aux bassins-versants. Ainsi, la HEAR accueille début avril prochain une quarantaine d’étudiant·es et d’enseignant·es de Pologne, Belgique, Arménie, Allemagne, Grèce, Espagne, Estonie et France pour une première « Rencontre des écoles d’art des fleuves et des rivières »… J’espère que ce sera productif et que l’an prochain nous serons encore plus nombreux·ses à considérer qu’il faut montrer d’autres manières d’habiter le monde – autre chose que construire des murs et des miradors sur les frontières.

 

Le thème directeur de l’édition 2025 de l’Université de la terre, à laquelle vous participerez, est « Nature = Futur. » Comment pensez-vous que l’art puisse faire résonner ce thème ? Quel est selon vous le rôle plus large de l’art dans les dynamiques de transition ?

Ce qui est certain c’est que les œuvres d’art sont fondamentalement des caisses de résonnance et produisent des dynamiques ! C’est plus ou moins puissant en fonction de l’œuvre, du contexte, etc. mais les artistes font des œuvres principalement pour cela, pour que ça résonne !
Là, présentement, pour l’Université de la terre 2025, nous avons rassemblé des œuvres pour que, en quelque sorte, elles prennent la parole aux côtés des intervenants qui vont déplier le thème « Nature = Futur ». Certaines sont des portes d’entrée vers une controverse écologique (les espèces invasives exotiques, les plantes données comme « mauvaises herbes », la destruction des habitats fluviaux, etc.) réalisées dans le cadre d’un partenariat avec l’OFB par des étudiant·es de l’Atelier de Didactique visuelle de la HEAR. D’autres proposent autant de rencontres imprévues avec des animaux « dans la forêt de l’Unesco »… Ces œuvres sont réalisées par l’artiste Yoshikazu Goulven Le Maitre, récemment diplômé de la mention Art Objet et elles renouvèlent avec une économie de matériaux stupéfiante le genre de la sculpture animalière …
On espère que ces œuvres, parce qu’elles sont délicates et souvent fragiles, parce qu’elles sont comme des petits animaux perdus dans un grand bâtiment moderniste à deux pas de la Tour Eiffel, au cœur de la ville-monde qu’est Paris, sauront trouver chez les visiteurs·ses le chemin sensible qui fait comprendre sans même réfléchir que le futur passe par l’arrêt de la destruction de la « nature »…
Nous savons intellectuellement qu’il faut changer de pratiques et, en effet, comme vous le dites, soutenir les dynamiques de transition, mais le champ de forces dans lequel il faut agir est tellement puissant que la rationalité ne suffit pas – un peu d’aide de notre cerveau sensible (notre ventre, nos intuitions, nos affects, nos imaginaires, …) semble nécessaire si on veut avancer…

 

La HEAR présentera pour l’édition anniversaire de l’Université de la terre un Parcours artistique inédit, sorte de « sixième sens » de l’événement. Quelle est votre ambition à travers la construction de ce parcours, et pouvez-vous nous en dire un peu plus sur son contenu ?

Les cinq parcours thématiques de l’Université de la terre seront cette année en effet augmentés d’un sixième parcours – une sorte d’exposition entremêlée aux conférences, aux stands et autres présentations qui auront lieu pendant les deux jours sur place. Cela s’appelle « Dans la forêt de l’Unesco », et, réparties dans les espaces intérieurs et extérieurs de l’immense bâtiment, 33 œuvres pourront être progressivement découvertes par les visiteur·ses, stimulant, nous l’espérons, une attention plus aiguë à la biodiversité, aux animaux et à la crise écologique.

En travaillant sur ce projet, nous nous sommes dit que ce sixième parcours ne devait pas être de type muséal exposant des œuvres dans une salle du bâtiment, mais devait plutôt intensifier l’esprit du lieu. En effet, le bâtiment de l’Unesco a été construit pour abriter une organisation internationale dans sa dimension administrative et gestionnaire, mais aussi, surtout, pour porter une ambition planétaire pour l’éducation, la science et la culture – et c’est pour cela qu’il y a en permanence dans ces murs une vaste collection d’œuvres rassemblées depuis les années 1950… Seulement, en 1950 (et encore aujourd’hui !) c’est le paradigme moderniste occidental de séparation nature/culture qui s’imposait, avec « l’Homme » positionné en face de « la nature », tâchant de l’organiser et de la maitriser, plutôt qu’imaginer en faire partie et s’y mêler. Tout cela a été abondamment décrit et analysé… Toujours est-il que pour nous, avec le thème « Nature = futur », nous nous sommes immédiatement dit que dans le futur, si nous voulons éviter les dystopies techno-militaristes, il s’agira de retrouver une proximité avec les non-humains, l’eau, la terre, le vent, etc., jusqu’à faire disparaitre la notion de « nature » dont nous n’aurons plus besoin !
Mais en attendant, parce que ce parcours « Dans la forêt de l’Unesco » a lieu aujourd’hui, les animaux, les plantes et le vent ne nous voisinent que de manière indicielle… Et le parcours fait apparaitre des animaux (mouette, renard, tortue, cigogne, souris, lézard, …) comme au détour d’un chemin, fugacement, avant qu’ils ne se dissimulent à nouveau. Il fait passer par les morceaux de « nature » jardinés dans les extérieurs du bâtiment, et en pointe les enjeux (une herbe folle hissée comme un drapeau dans le vent, des tortues invasives dans le Jardin de la Paix de Isamu Noguchi, l’olivier aujourd’hui malade du Square de la tolérance – hommage à Yitzhak Rabin de Dani Karavan, un chien noir squelettique après les dalles de granit irradiées par la bombe d’Hiroshima de l’Espace de méditation de Tadao Ando…) Il donne à voir, de manière ambiguë, en fonction de notre humeur, soit une biodiversité discrète qui nous voisine et n’attend qu’un peu de calme pour se redéployer et rayonner – à moins qu’il ne s’agisse de restes morbides, dans une époque qui zombifie tous les écosystèmes en les traitant comme des ressources.
Les expositions et les œuvres n’ont pas à choisir entre leurs différentes significations, c’est ce qui en fait la puissance. Et c’est pour cela que, nous l’espérons, la journée que passeront les visiteur·ses dans la forêt de l’Unesco, concentré·es dans les salles de conférences, rêveur·ses dans les déambulations, les halls et les couloirs, les aidera à penser et s’approprier la complexité de l’équation « Nature = Futur ».

 

Retrouvez la HEAR dans le programme OFF de l’Université de la terre, les 14 & 15 mars à l’UNESCO !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


La période de vérification reCAPTCHA a expiré. Veuillez recharger la page.

Je m'inscris à la newsletter