Phitrust : investir pour un impact social et environnemental durable
Phitrust, pionnière de la finance à impact, concilie performance financière et enjeux sociaux et environnementaux. Olivier de Guerre, son président, partage les solutions d'investissement actuelles, le rôle des investisseurs et l'importance d'un engagement à long terme pour la transition écologique et sociale.
Entrepreneurs d’avenir : Vous êtes co-fondateur et président de Phitrust, société de gestion, pionnière, qui promeut depuis 2003 une finance à impact. Quelles sont les principales solutions d’investissement pouvant allier impact environnemental et social et performance financière à long terme ?
Olivier DE GUERRE : Il existe aujourd’hui plusieurs types de fonds d’investissement qui cherchent à allier impact environnemental /social avec une performance financière :
- les fonds labellisés ISR (Investissement Socialement Responsable). Ces fonds intègrent des critères « extra-financiers » environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans la sélection des entreprises cotées.
- les fonds article 9 (coté ou non coté) qui doivent investir exclusivement dans des projets ou actifs ayant un impact positif mesurable sur l’environnement ou la société. (ex : portefeuilles axés sur des thèmes comme l’eau, l’énergie,..)
- le private equity à impact : des fonds qui investissent directement dans des entreprises privées ayant pour mission de résoudre des défis environnementaux ou sociaux (ex : Start-ups innovant dans les technologies vertes)
- et, parmi eux, les fonds solidaires qui investissent dans des entreprises non cotées à impact très social, au sens de la loi ESUS (avec souvent un axe environnemental). (ex : fonds investis dans la thématique de l’inclusion par l’activité économique, l’éducation et la formation, l’habitat social, …..)
Les conseillers, gérants de patrimoine, banques, family office,… essayent de s’adapter à la demande de leurs clients. Et principalement à leurs attentes en termes d’intensité d’impact, d’horizon de placement et de rendement financier. Il est évident qu’un fonds à impact très social n’aura pas le même rendement qu’un fonds investi dans la tech verte, l’impact attendu n’est pas le même. Les personnes ciblées non plus !
La durée d’investissement compte également : plus les investisseurs seront nombreux à ne plus attendre une rentabilité annuelle, plus l’offre de produits long terme se développera.
Alors que les profits des entreprises du CAC 40 continuent d’atteindre des niveaux record, les enjeux sociaux et environnementaux ne semblent pas toujours être la priorité du monde de l’entreprise. Comment parvenez-vous, à mobiliser les acteurs financiers en faveur de la transition écologique et sociale ? Comment se déploie votre travail auprès des entreprises cotées pour garantir une évolution de leurs pratiques environnementales et sociales ?
Les grandes entreprises ont toutes pris conscience de la nécessité de faire évoluer leur stratégie pour répondre aux enjeux environnementaux. Depuis 2017 nous avons incité les entreprises du CAC40 à adhérer aux standards SBTI (Science Based Initiative) et 36 d’entre elles ont aujourd’hui des engagements climat fermes ou sont en cours de les valider. Mais il leur faudra du temps pour atteindre ces objectifs notamment à cause de la difficulté de transformer les outils de production, d’avoir accès à une énergie non carbonée et d’avoir des clients acceptant de modifier leur modèle d’achat/de consommation (par exemple : difficile de ne plus du tout utiliser la voiture, l’avion pour se déplacer…).
Une stratégie d’investissement qui utilise le levier de l’engagement actionnarial pour créer de la valeur à long terme doit être pensée dans le temps, avec des actions répétées auprès des grandes entreprises pour faire entendre la voix des actionnaires minoritaires et leur volonté de challenger leurs dirigeants sur leur stratégie de transformation de leurs entreprises. L’engagement, tel que nous le pratiquons, implique beaucoup d’expertises, une capacité d’action sur le long terme, une relation directe avec les dirigeants des grandes entreprises, une capacité enfin à fédérer les investisseurs. Une telle stratégie a généré en 2024 des performances reconnues !
En 2021, Phitrust devient société à mission et s’engage à « investir pour agir et contribuer à faire grandir les entreprises qui intègrent au cœur de leur stratégie le développement de l’être humain et la préservation de notre planète. » Comment ce changement de statut a-t-il affecté votre fonctionnement initial, et quels en sont les résultats ?
Paradoxalement ce statut n’a pas modifié notre fonctionnement initial : il a mis en exergue la philosophie que nous avions adoptée depuis la création de Phitrust. Et notre ambition de développer deux stratégies d’investissement qui cherchent à répondre aux besoins des entreprises cotées et non cotées dans lesquelles nous investissons.
A cette mission sont attachés 4 objectifs principaux, mesurables par la progression d’un certain nombre de critères liés. L’adoption de ce statut nous oblige aujourd’hui à produire chaque année un rapport de mission soumis aux membres de notre CA, et audité tous les 3 ans par un cabinet externe, sous le pilotage de notre référent de mission qui est une personnalité indépendante. L’avancée des critères relatifs à chaque objectif nous assure de notre capacité à mettre toute l’organisation au service de notre mission de façon mesurable et mesurée.
Nous avons opté pour le statut d’entreprise à mission en 2021. Notre premier rapport audité portait sur l’exercice 2022, avec une appréciation très positive. Nous avons encore des points à travailler, notamment le lancement de nouveaux fonds à impact : nous y travaillons !
Vous avez lancé en 2006 le premier fonds d’investissement en non coté pour accompagner et soutenir les entreprises à impact social. Ce projet soutenu par Phitrust et ses investisseurs permet de fournir à des entreprises à impact social un soutien financier, mais aussi un accompagnement structurel sur plusieurs années qui valorise notamment l’insertion par le travail. Quels sont les résultats de vos actions, les entreprises soutenues, et quelle est votre ambition pour ce pôle d’investissement?
Nous avons financé principalement en France, en Europe, et beaucoup plus marginalement en Afrique francophone et Asie du Sud Est plus de 45 entreprises sociales depuis 2006. Certaines sont issues de la volonté d’une association (le groupe d’insertion La Varappe a pour actionnaire, aux cotés d’investisseurs, l’association La Varappe, idem pour Ecodair), d’autres directement voulues par un ou des entrepreneurs (comme LemonTri ou encore Les Alchimistes).
Ces entreprises en croissance ont besoin de capitaux patients pour se développer et d’accompagnement stratégique et opérationnel. Nous avons la chance de pouvoir fédérer des investisseurs privés ayant des expériences opérationnelles, volontaires pour accompagner leurs dirigeants : les entrepreneurs sociaux peuvent ainsi être épaulés. Nous avons choisi parallèlement de rester investisseur tant que ces entreprises auraient besoin de notre soutien et expertise. Il faut du temps pour conjuguer projet à dimension très sociale et rendement économique, mais avec le temps nous avons de nombreux exemples de réussite, avec seulement 7 entreprises qui ont fait défaut en 17 ans !
Investir sur le long terme a ainsi permis au Groupe La Varappe de remettre plus de 100 000 personnes sur le marché du travail en France en réalisant en 2024 plus de 100 M € de chiffre d’affaires. Mais aussi à la Laiterie du Berger au Sénégal de permettre à plus de 15 000 familles de bergers dans le Sahel de vivre de leurs revenus, la société réalisant plus de 30 M € de chiffre d’affaires. Ou encore à ECODAIR d’employer plus de 120 personnes en situation difficile reconditionnant des ordinateurs pour les revendre à des personnes ne pouvant acheter du neuf, la société réalisant plus de 7 m € de chiffre d’affaires en 2024.
Tout ces résultats n’auraient pas été possibles sans un choix de privilégier le long terme avec du capital patient, ce qui mécaniquement diminue le Taux de rendement interne (TRI) pour les investisseurs. Mais avec la contrepartie d’un impact social très fort que nous suivons avec des objectifs fixés avec les entreprises que nous finançons.
Nous venons de lancer un 3eme fonds, Phitrust Partenaires Inclusion dont le closing sera bientôt atteint auprès d’investisseurs institutionnels, la part dédiée aux investisseurs privés restant ouverte. Notre ambition est bien sûr de convaincre toujours plus d’investisseurs, privés et institutionnels que l’impact social doit être traité et investi au même titre et en parallèle de l’impact environnemental ; on ne peut séparer les deux si on veut pour nos enfants atteindre une transition juste de notre modèle. Notre ambition est d’assurer la pérennité économique, et donc celle de l’impact social, des entreprises de notre portefeuille. Notre ambition est aussi de réfléchir à la création de nouveaux fonds à impact, en puisant dans l’image et le savoir-faire de Phitrust.
Vous témoignerez à l’Université de la terre les 14 & 15 mars 2025, et interviendrez sur le thème : La planète actionnaire. Que pensez-vous de l’intégration des parties prenantes naturelles dans les conseils d’administration et l’avenir de cette révolution ?
Le concept de “nature actionnaire” est une idée novatrice visant à reconnaître la nature comme un acteur économique légitime, similaire à un actionnaire dans une entreprise. Cependant, il ne me semble pas répondre à l’objectif recherché ou à la logique des Conseils d’Administration. Donner un statut juridique à la nature en tant qu’actionnaire nécessite des évolutions importantes des cadres légaux actuels. Qui représenterait efficacement la nature ?
Il est bien évidemment nécessaire que les stratégies des entreprises intègrent l’impact de leurs activités sur la planète et nos écosystèmes. Les Conseils d’administration doivent s’emparer de ces questions pour s’assurer que la stratégie intègre la protection d’une planète vivante dans l’activité existante et dans tout projet à venir. Voire les actions régénératrices qui doivent être mises en œuvre.
Et les administrateurs doivent être formés à ces enjeux ou accueillir en leur sein des experts qui peuvent les aider à prendre en compte ces sujets fondamentaux pour la planète mais aussi pour les entreprises : celles qui n’en tiendront pas compte n’existeront probablement plus dans 30 ou 50 ans ! Il a fallu du temps pour en prendre conscience, il faudra du temps pour y arriver car la modification de processus de productions, la modification d’actes de consommation de tout un chacun, la prise en compte d’enjeux très différents dans les pays de l’OCDE ou dans les pays dits « émergents », les différences culturelles sont autant de barrières à un changement rapide…
Heureusement nous constatons que certains groupes comme Kering publient aujourd’hui lors de leur Assemblée générale leur impact sur la biodiversité. Encore trop peu nombreux bien sûr mais signe que le sujet Planète commence à être pris en compte concrètement. A nous de pousser les autres sociétés à évoluer vite en agissant auprès de ces entreprises en actionnaire minoritaire engagé !
Retrouvez Olivier DE GUERRE à l’Université de la terre les 14 & 15 mars 2025
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