Qui Veut Rafraichir Sa Ville ?

Accélérer l’adaptation des villes ! Qui Veut Rafraichir Sa Ville ? met en mouvement et fédère les acteurs économiques du territoire en mariant low-tech et high-tech avec sa méthode d’aquapuncture®. Rencontre avec Jean-Marc Bouillon, paysagiste et co-fondateur de la structure.

 

Entrepreneurs d’avenir : Jean-Marc, tu es un acteur incontournable depuis de nombreuses années du monde du paysage. Paysagiste concepteur, tu as d’abord été directeur adjoint des espaces verts de Mulhouse. Tu as ensuite créé et dirigé plusieurs bureaux d’étude dans le secteur de l’aménagement des villes, présidé pendant 7 ans la Fédération Française du Paysage, tu es président du comité de filière paysage de l’interprofession Val’Hor et un fidèle de l’association France Villes et territoires Durables. En décembre 2023, tu co-fondes l’entreprise Qui Veut Rafraîchir Sa Ville ? Peux-tu en quelques mots nous-la présenter ?

Jean-Marc Bouillon : Qui Veut rafraîchir Sa Ville ? est une société à mission lyonnaise qui a choisi d’accélérer l’adaptation des villes au réchauffement climatique, en s’adressant au foncier privé des villes, pour créer partout où c’est possible des micro-îlots de fraîcheur. Mettre en mouvement ce foncier privé (qui représente en moyenne 80% de la superficie des agglomérations) et le faire tous ensemble, société civile et acteurs économiques qui possédons ou vivons sur ce territoire privé, est impératif pour apporter des réponses à la bonne échelle et au bon rythme, en complément de celles entreprises par les pouvoirs publics sur le domaine public.

Notre méthode d’action repose sur une combinaison de procédés low-tech et high-tech : la plantation d’arbres et l’infiltration naturelle des eaux pluviales d’une part, la lecture algorithmique de nos territoires grâce aux pixels de photos aériennes d’autre part. C’est cela que l’on appelle l’aquapuncture®. Une solution concrète, pérenne et simple qui coche 9 ODD.

En quoi consiste plus précisément l’Acquapuncture® et pourquoi s’appuyer sur un système de visualisation high-tech ?

Le principe fondateur est que l’on va plus vite et plus fort si on dissémine une multitude de micro-projets sur les parcelles cadastrales de la ville existante plutôt que de bouleverser complètement le tissu urbain, ce qui serait à la fois très onéreux, très long, et sans doute impossible. Au contraire, la ville telle qu’elle existe aujourd’hui présente une multiplicité de surfaces imperméables (toitures des immeubles et des maisons, enrobés des cours et des parkings), qui sont autant de collecteurs d’eau de pluie que l’on peut utiliser pour créer un nouveau cheminement de l’eau : chaque fois que c’est possible on réoriente l’eau de pluie qui tombe sur ces surfaces vers un espace vert existant ou à créer, aménagé légèrement en creux où l’eau va s’infiltrer et où l’on va planter des arbres qui bénéficieront de cet arrosage régulier et naturel. Voilà pour le volet low-tech : on a baptisé ces micro-espaces verts des « points d’aquapuncture® ».

Encore faut-il savoir où l’on peut « piquer » ces points d’aquapuncture® et quels effets vont-ils produire à l’échelle d’un territoire urbain. En s’appuyant sur la lecture algorithmique des données cartographiques (vues aériennes), nous avons développé une méthode (en partenariat avec Siradel, filiale d’Engie) qui nous permet de scanner un territoire urbain, d’identifier l’ensemble des micro-zones où l’eau pourra s’infiltrer, et de classer, par un indice de facilité (l’indice d’aquapuncture®) l’ensemble des parcelles cadastrales propices à notre méthode. C’est le volet high tech de l’aquapuncture®. Grâce à lui, nous pouvons visualiser le potentiel d’adaptation d’une agglomération et nous apercevoir, par exemple, que nos parcelles cadastrales existantes sont classées à 70% dans les catégories faciles.

Cela permet de prendre la mesure de la puissance de l’impact environnemental collectif et de sa contribution personnelle dans chacune de nos villes ! Concrètement dans 15 ans, l’impact de l’aquapuncture® pour une ville de 50 000 habitants ce sera 6 000 îlots de fraîcheur, créés au plus près de ceux qui l’habitent, y travaillent ou la fréquentent, avec 100 ha d’ombre portée supplémentaires dans la ville (c’est l’indice de canopée) ! Sans compter les 50 000 arbres plantés de façon durable pour un impact certain sur la biodiversité grâce aux 3 millions de m3 d’eau par an infiltrés dans les sols pour préserver la ressource !

Si on raisonne à seulement un an, pour cette même ville de 50 000 habitants, c’est 400 îlots de fraîcheur, avec 3 200 arbres plantés, 200 000 m3 d’eau infiltrée et 3,2 ha d’ombre portée.

Quelle était ton intention, avec tes associés Elsa Lourdeau et Thomas Lescure, en créant Qui veut Rafraichir sa ville ? Quel sens donnez-vous à votre initiative ?

Tout d’abord un sentiment d’urgence à agir pour préserver nos villes des effets du réchauffement climatique, parce qu’elles sont à la fois des lieux de concentration démographique et d’intense activité économique. Ensuite, la conviction acquise tout au long de mon parcours professionnel, que les bienfaits de la nature en ville pourront atténuer les conséquences préoccupantes de tous les dérèglements qu’induit le réchauffement climatique. En effet, au-delà des conséquences de l’augmentation du CO2 et de l’écroulement de la biodiversité qui invitent à des mesures de long terme, le réchauffement climatique fait dès aujourd’hui dysfonctionner quotidiennement nos infrastructures urbaines. Des réactions sur le très court terme doivent donc très vite s’imposer.

Les deux principales causes du dysfonctionnement urbain sont liées aux chaleurs extrêmes en période de canicule et aux inondations en période de pluies intenses (également provoquées par le dérèglement climatique). Ces dysfonctionnements rendent nos lieux de vie de moins en moins propices à l’activité économique de nos entreprises et de toutes ses parties prenantes, clients et collaborateurs inclus. Insidieusement, alors que nous avons encore le pouvoir d’agir, la crise écologique est donc en train de se transformer en crise économique et par conséquence en crise sociétale.

Notre intention, à tous les trois, n’est donc pas seulement de proposer une solution d’action en réponse à ces dysfonctionnements : plus d’arbres en ville pour lutter contre les îlots de chaleur, réinfiltrer l’eau de pluie dans les parcelles pour désaturer les réseaux d’assainissement. C’est aussi de donner à tous l’envie et les moyens d’agir, de se fédérer et de le faire là où cela nous concerne directement, sur son propre territoire d’activité rapidement et durablement. Pour cela, nous développons actuellement une plateforme d’intermédiation destinée à faire se rencontrer et travailler de façon collective toutes les parties prenantes « utilisatrices » de la ville qui peuvent agir pour transformer leur territoire de vie de façon vertueuse : entreprises, particuliers, collectivités, professionnels du paysage, ainsi que les garants de l’impact (experts scientifiques et techniques). Notre volonté est bien d’exploiter toutes les potentialités de mise en réseau et d’accélération qui sont à notre portée, au service de transitions écologiques et économiques positives. Notre philosophie se fonde sur l’alliance avec la multitude pour permettra à chacun de participer à la construction d’un avenir souhaitable.

Vous initiez à présent une ouverture du capital aux entrepreneurs : pourquoi et comment souhaitez-vous les mobiliser ?

En regard de la plateforme d’intermédiation avons également imaginé, pour financer l’amorçage de notre activité, un dispositif original de financement qui permettra à terme à 150 « micro-investisseurs » de prendre des parts dans une société de participation co-fondatrice de Qui Veut Rafraîchir sa Ville ? Notre méthode de financement, participatif, se pose ainsi comme le reflet de notre activité, et incarne aussi la dimension sociétale de notre projet. Après avoir réuni 250 000 € en love money auprès de la société civile, nous sommes déjà en train de réunir 60 entreprises pionnières de notre région pour former le cercle de celles par qui tout aura commencé et atteindre notre deuxième objectif de financement fixé à 600 000 euros. Une dizaine d’entre elles nous ont déjà rejoint.

On sait que le foncier économique représente 30% des 80% du foncier privé des villes. En tant qu’entreprise, nous pouvons donc agir efficacement. Et ce sont bien les entreprises qui sont clairement les premières concernées, le réchauffement climatique les faisant déjà dysfonctionner. Or, pour la plupart, elles contribuent, par les surfaces étanches, par la gestion actuelle de leurs eaux pluviales sur leurs sites d’activité, aux ilots de chaleur et à ces inondations qui bloquent les chantiers, les livraisons de marchandises, ralentissent la circulation, les productions, celles de leurs sous-traitants, de leurs clients. Nombre d’entre elles sont déjà impactées par ces jours d’activité et ces points de rentabilité définitivement perdus mais elles n’en prennent pas toutes conscience au quotidien.

Entrepreneurs, dirigeantes et dirigeants d’entreprises, nous pouvons clairement montrer l’exemple sur nos propres parcelles, nous pouvons flécher différemment nos engagements historiques (sponsoring, mécénat, RSE), nous pouvons enfin sensibiliser ou aider nos différentes parties prenantes. Celles-ci et nos collaborateurs recherchent aujourd’hui des acteurs engagés dans cette cause environnementale majeure. C’est le rôle des 60 entreprises pionnières qui nous rejoindrons avant les autres, celui d’embarquer le reste du monde économique et de mettre en mouvement la société civile pour donner corps à cette alliance des multiples dont nous avons tant besoin !

Tu l’as évoqué au début de cet entretien, pour opérer la fameuse « bascule », le principe de « micro-projets » organisés autour d’une plateforme d’intermédiation est vital : qu’est-ce que cela va apporter à la vie en ville et à l’activité économique à court et moyen terme ?

Cette multitude de points d’aquapuncture® qui s’installera jour après jour formera autant d’îlots de fraicheur pour une meilleure qualité de vie. Ils matérialiseront aussi cet engagement de tous. La force de notre méthode vient de ce principe de micro-projets, de la facilité de mise en œuvre et de leurs coûts très mesurés, sa complexité, du nombre à réaliser, du rythme à donner, pour avoir un réel impact. C’est là toute l’utilité de la plateforme d’intermédiation. Celle-ci permettra à chacun, quelle que soit sa situation, particulier, entreprise ou professionnel du paysage, d’agir facilement à son échelle, et de participer à la mission de Qui Veut Rafraîchir Sa Ville ? pour accélérer.

De notre côté, la plateforme permettra à Qui Veut rafraîchir Sa Ville ? d’optimiser la gestion des interfaces, les relations contractuelles et financières entre toutes les parties prenantes, les expertises techniques, les opérateurs et donc d’aller vite. Elle permettra également de voir se concrétiser la progression de la performance environnementale de nos engagements, le nombre de points d’aquapuncture réalisés, le nombre de m3 préservés, le nombre d’arbres plantés. Outre la préservation de l’attractivité de nos territoires et de l’activité de toutes nos sociétés liées à la diminution des désordres climatiques, Qui Veut rafraîchir Sa Ville ? va devenir un acteur économique à part entière, non seulement par les emplois créés, mais par les nouveaux marchés proposés aux acteurs du paysage, bureaux d’études, entreprises d’espaces verts, pépiniéristes locaux.

La nature est « multi-servicielle » as-tu l’habitude de dire. Pourquoi et comment cette nature « infrastructure » va venir soutenir toutes les parties prenantes des villes pour faire face au réchauffement climatique ?

D’abord, pourquoi la nature est en train de devenir une nouvelle « infrastructure » à part entière des villes, au même titre qu’un réseau d’eau, de gaz, une infrastructure routière ? Nous nous rendons compte, un peu plus chaque jour, que les végétaux utilisent pour vivre et pousser des fonctions écosystémiques dont les effets sont positifs, pour l’environnement qui les accueille : rafraîchissement de l’air, infiltration de l’eau, stockage du CO2, etc. Si nous étions en capacité d’en planter suffisamment, l’accumulation de ces effets positifs fournirait une réponse technique efficace pour diminuer les désordres que le réchauffement produit. C’est bien là le rôle de toute infrastructure urbaine : améliorer le fonctionnement du système urbain. Ce qui est extraordinaire avec cette infrastructure verte qui se dessine c’est qu’à l’inverse de nos infrastructures techniques qui sont toutes mono-servicielles (un tuyau d’assainissement ne fait qu’assainir, une alimentation de gaz ne fournit que du gaz, etc.) la nature en ville, si elle est conçue et implantée pour fournir des prestations techniques, est par essence « multi-servicielle ». Un même point d’aquapuncture®, composé simplement d’un petit espace vert légèrement en creux, planté d’arbres et d’arbustes rafraîchit l’air, infiltre l’eau, capte du CO2, dépollue l’air, participe à la biodiversité des sols, lutte contre les troubles de l’anxiété en apaisant les habitants des villes. De plus, à l’inverse des autres infrastructures techniques que nous devons tous déprécier chaque année dans nos bilans, l’infrastructure verte pousse, grandit et devient avec le temps de plus en plus efficace. C’est d’ailleurs pourquoi quand les collectivités fixent par délibération des barèmes de prix aux arbres, elles en majorent chaque année la valeur.

Au final, tu estimes qu’il est urgent de modifier notre rapport à la nature en ville pour « créer de la valeur ». Pourquoi selon toi les entrepreneurs ont un rôle essentiel à jouer dans la performance écologique aux côtés de la performance économique ?

Depuis toujours, les entreprises ont un rôle naturel de leader dans toute mise en mouvement de nos sociétés. Les vélos en libre-service, AirBnb, BlaBlaCar, imaginés et développés par le monde économique changent aujourd’hui notre façon de pratiquer nos villes.

En nous mobilisant, en montrant qu’il est possible de mutualiser l’effort et le coût, nos entreprises pourront être à l’origine d’un mouvement qui aura rapidement un impact concret au plus près de chez nous, dans nos territoires d’activité.

Nous avons tout intérêt, nous, le monde économique, à démontrer qu’écologie peut rimer avec économie et que, lorsque nous nous emparons d’un problème, nous trouvons des réponses innovantes, efficaces, économes.

Notre société va légiférer pour lutter contre le réchauffement, elle a commencé à le faire. Créons ensemble les jurisprudences positives sur lesquels les législateurs s’appuieront pour bâtir les lois de demain.

En mars prochain, l’Université de la Terre va fêter ses 20 ans avec un programme associé du Parlement des Entrepreneurs d’avenir sur la grande thématique « Nature = Futur ». Quel est ton mantra qui résonne avec ce thème ?

En comprenant mieux la nature, sa force et son intelligence, en nous installant dans un rapport avec elle coopératif plutôt qu’extractif en accélérant tous ensemble l’arrivée dans nos villes, de cette infrastructure verte « multi-servicielle » dont nous avons tant besoin, nous contribuerons, à notre échelle, à donner du sens au thème des 20 ans de l’université : Nature = Futur. C’est la raison d’être de Qui Veut rafraîchir Sa Ville ? et celle de toutes celles et ceux qui vont nous rejoindre, sensible à l’idée que faire, dès maintenant, chacun un petit peu peut aboutir à faire beaucoup ensemble.

Une interview réalisée par Coryne Nicq

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