L’Office Français de la Biodiversité parraine les 20 ans de l’Université de la terre !

Discussion privilégiée avec Christophe Aubel, Directeur général délégué de l'Office Français de la Biodiversité, sur les changements transformateurs à opérer pour préserver et restaurer la biodiversité.

 

Entrepreneurs d’avenir : Les chiffres concernant le déclin de la biodiversité sont alarmants. Il est largement admis que le facteur humain et nos modes de vie et de consommation ont accéléré cet appauvrissement brutal : nous en sommes la cause, et donc sans doute le remède. Quels peuvent être les leviers d’action dont nous disposons à l’échelle individuelle et collective pour limiter cette érosion et restaurer les écosystèmes vivants ?

Christophe Aubel : L’IPBES (plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques – le GIEC de la biodiversité !) a tracé la route, en insistant sur le fait qu’il était possible d’agir, à condition d’engager des « changements transformateurs » vu comme « la réorganisation fondamentale, systémique, des facteurs économiques, sociaux, technologiques, y compris les paradigmes, les objectifs et les valeurs ».

Ce terme de changement transformateur ne doit pas faire peur, les sociétés ont déjà accompli de tels changements, par exemple dans le domaine agricole après la seconde guerre mondiale ou pour atteindre l’autonomie alimentaire on a joué sur de nombreux leviers : modèle agronomique, formation, financement, réglementation etc.

On voit bien que c’est l’ensemble des acteurs (pouvoirs publics, collectivités, entreprises, syndicats, associations…) mais aussi chacun individuellement, qui doit se mobiliser, évidemment chacun à son niveau de responsabilité. La bonne nouvelle c’est que des solutions existent, l’autre bonne nouvelle c’est que le fait de se réapproprier le lien au vivant nous aidera à construire un futur qui fait envie, on en a bien besoin me semble-t-il.

Nature= futur, un futur désirable, nous le montrerons les 14 et 15 mars !

L’OFB a été, ces derniers temps, placé au cœur de débats et de critiques de la part du monde agricole, dans son rôle de police environnementale. Quelle est la réalité de cette mission de l’OFB et comment peut-elle s’intensifier pour contrevenir aux non respects du droit environnemental ?

L’office français de la biodiversité dispose, parmi ses principales missions, de celle d’animer une police de l’environnement. Forte d’environ 1800 agents répartis dans tous les départements, cette police intervient sur l’ensemble du spectre pour assurer le respect des règles de droit qui protègent l’environnement : des actions de prévention jusqu’à la recherche des auteurs des infractions les plus graves, de la police administrative à la police judiciaire.

Les agents de l’OFB, dotés d’une arme de service, commissionnés et assermentés auprès du tribunal, agissent avec équilibre dans l’exercice de leurs prérogatives régaliennes et instruisent chaque procédure à charge et à décharge. Dotés de solides compétences techniques pour étudier le fonctionnement des milieux naturels et évaluer l’impact de certaines activités humaines sur l’environnement, ils forment une police spécialisée et travaillent tous les jours avec les autres forces de sécurité intérieure (police et gendarmerie nationales, douanes…) pour coordonner leurs actions.

Rappelons également que les contrôles que nous effectuons sont programmés suivant les priorités définies par le préfet et le procureur de la République dans chaque territoire.

On le sait, les interactions entre agriculture et biodiversité sont nombreuses. Les agriculteurs sont ainsi les premières victimes des effets du changement climatique (canicules, stress hydrique…) et de l’effondrement de la biodiversité (appauvrissement des sols, disparitions des insectes pollinisateurs…) qui affectent d’ores-et-déjà les rendements agricoles. Ils sont également les premiers à pouvoir bénéficier des solutions fondées sur la nature.

Du fait de certaines pratiques, certains agriculteurs sont également susceptibles de porter atteinte à l’environnement et donc de faire l’objet de contrôles ou d’enquêtes de la part de nos agents. Pour autant, la part des agriculteurs dans nos missions de police n’est que de l’ordre de 15%, loin derrière les particuliers. Ce n’est donc pas la part principale. J’ajoute que l’OFB travaille avec la profession agricole pour mieux faire connaître la réglementation et la façon dont elle doit être appliquée, de manière à accompagner l’évolution des pratiques agricoles vers un modèle plus respectueux des équilibres du vivant.

La biodiversité est un bien commun, dont nous dépendons, il est normal qu’une police de la nature soit dédiée au respect des règles qui protègent ce bien commun.

Quel devrait être l’avenir des politiques publiques en termes de protection de la biodiversité, et comment peut-on espérer être efficaces dans leur application ?

J’ai déjà envie de renvoyer au cadre mondial issu de la COP 16 et en France à la SNB3, l’un et l’autre fixe des objectifs ambitieux et intéressants. Ce sur quoi il faut insister c’est que si des politiques dédiées sont indispensables (aires protégées, plan nationaux sur les espèces menacées, trame verte et bleue, directives européennes, police de la nature pour faire respecter la réglementation etc.) la solution passera aussi, voire surtout, par une réduction des pressions que subissent les écosystèmes, ce qui nécessite de modifier les politiques sectorielles(agriculture, aménagement, énergie, commerce…) pour qu’elles fassent « avec la nature » et pas « contre la nature ». Au-delà il faut bien sur réinterroger notre modèle économique pour s’inscrire dans les limites de la biosphère. Une croissance infinie dans un monde fini n’est tout simplement pas possible, il nous faut sortir de ce dogme de la croissance.

Pour avancer sur ce chemin il faut inventer de nouvelles gouvernances, plus inclusives de chacun, il faut traiter la question des inégalités et il faut enfin se réapproprier le fait que nous avons partie liée avec les vivants non humains.

L’OFB engage cette année et en 2025 une grande campagne de communication visant à sensibiliser les Français à l’importance de préserver, protéger et restaurer la biodiversité. Quel est le message que vous souhaitez faire passer, et comment comptez-vous faire résonner celui-ci au travers de cette campagne et plus spécifiquement lors de l’Université de la terre ?

Le message clef c’est ce que j’appelle l’appropriation des enjeux. La montée dans l’opinion de l’importance de la biodiversité ces dernières années est réelle. Les sondages le disent, le contenu des journaux le montrent…. Mais cette montée en puissance n’est pas encore allée au bout des choses, la biodiversité reste encore trop souvent vue comme la somme des espèces, animales et végétales, certes souvent considérées comme belles ou sympathiques mais limitées à constituer notre environnement, comme un décor dans lequel nous évoluons.

Mais la biodiversité est plus que cela, ensemble du vivant il ne s’agit pas d’espèces posées les unes à côté des autres, les espèces sont en interaction et ce fonctionnement du vivant rend la terre habitable, notamment pour les humains que nous sommes. Rien que cela c’’est à dire tout : pas de vie pour nous sans les autres vivants, nous sommes parties et nous dépendons du vivant.

Cette planète est donc la nôtre collectivement avec les non humains. Apprenons à vivre avec et pas sans ou contre les autres espèces, c’est la seule voie possible face aux défis climatique et d’effondrement de la biodiversité qui sont devant nous. Mais ne voyons pas cela de façon défensive, c’est au contraire une chance, une chance de réhabiter le monde en y étant bien, en croyant en l’avenir.

Nature= futur ce n’est pas un slogan, notre futur est lié aux autres qu’humains. Nous verrons lors de l’université comment tout cela peut nous permettre de faire société différemment.

Notre espèce s’est déconnectée de la nature et du vivant non humain. Il y a aujourd’hui urgence à refaire lien avec la nature : comment reprendre le chemin de notre environnement naturel à l’ère du tout numérique et du virtuel ?

Regarder le monde tel qu’il est déjà : notre intelligence nous permet de faire plein de choses, nous permet de construire notre confort, mais notre intelligence ne nous permettra jamais de construire ce qui rend la vie possible, ce qui rend notre vie possible sur la planète. Réapproprions-nous cela et dès lors habitons le monde dans sa plénitude : c’est notre monde et celui des autres qu’humains.

Pour reprendre le chemin il faut bien sûr retourner dehors, re-regarder ce qui nous vit à nos côtés, prendre le temps de sentir nos attachements, à un arbre, à une rivière, à un jardin, à une espèce animale, à une espèce végétale… Les arbres de votre rue ne sont pas qu’un décor, ils vivent, abritent d’autres vivants, concourent à réguler le climat près de chez vous. A chacun de trouver son chemin pour renouer avec le vivant, à sa manière. Nous ne serons pas tous naturalistes, mais nous avons tous des attachements avec le vivant.

Mais faire face au défi de l’effondrement de la biodiversité n’est pas qu’une affaire individuelle, c’est aussi, surtout, une aventure collective, une affaire de coopération, de démocratie et de réduction des inégalités. Il nous faut construire collectivement d’autres visions du bonheur, une « vie bonne » est plus sûrement assurée en étant en relation avec d’autres vivants, humains et non humains, qu’avec toujours plus de bien matériel.

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