“We are doomed! Now what?” : un rapport inédit sur les stratégies d’adaptation des entreprises
Le nouveau rapport du Blue Shift Institute d’Arthur D. Little présente 5 scénarios et fournit un aperçu des possibles technologies susceptibles d'aider les dirigeants dans la définition de leur stratégie d’adaptation.
Entrepreneurs d’avenir : Vous publiez “We are doomed! Now what?”, le dernier rapport ADL Blue Shift sur l’adaptation au changement climatique. Cette étude d’envergure se penche spécifiquement sur la situation des entreprises en intégrant les résultats de plus de 40 entretiens avec des dirigeants d’entreprise, des experts en adaptation au climat, des investisseurs en capital-risque et des start-ups, ainsi que deux enquêtes couvrant 70 répondants. Quelles ont été vos motivations et quels enseignements en tirez-vous ?
Albert Meige et Zoé Huczok : Notre mission, à l’Institut Blue Shift, est d’explorer l’impact de certaines technologies sur le business, la société et les hommes. Pour cette étude, nous nous sommes focalisés spécifiquement sur la question de l’adaptation du point de vue des entreprises avec cet angle technologique afin de fournir une réponse à la question clé « Comment les décideurs peuvent-ils exploiter la technologie pour aider leurs entreprises à s’adapter aux impacts divers, multivariés et ambigus du changement climatique ? ».
Cette motivation résulte du constat que le défi climatique, et plus particulièrement l’adaptation, représentent une double complexité pour les décideurs : la difficulté de prendre leurs décisions au vu du nombre d’incertitudes existantes, et celle de choisir parmi toutes les technologies d’adaptation les plus pertinentes sur lesquelles l’entreprise doit se concentrer.
Deux points nous semblent particulièrement intéressants : les conclusions elles-mêmes, et le titre provocateur de l’étude résume bien l’une de nos conclusions principales : le réchauffement climatique pose quatre grands défis aux entreprises, et elles n’ont pas d’autre choix que de s’adapter ; et la méthodologie mise en œuvre pour arriver à ces conclusions, assez particulière et nous ayant permis de réduire toute la complexité à laquelle nous faisions face.
Quelle a été votre méthodologie de travail ?
Pour cette étude qui, à notre connaissance, est la première et seule se focalisant spécifiquement sur cette question de l’adaptation du point de vue des entreprises via le prisme technologique, nous avons mobilisé une équipe à plein temps pendant 5 mois qui a mené une quarantaine d’entretiens au niveau international avec des entreprises, des experts, des spécialistes du climat, des fonds d’investissement, des startups, etc. Elle a réalisé une grande enquête en ligne et a collaboré avec deux entités, notamment avec le département WIPO des Nations Unies ayant développé une grande base de données des technologies liées au changement climatique. Notre méthode a été de partir du défi et de regarder quelles sont les technologies qui permettent d’y répondre. Nous avons procédé en deux étapes : dans un premier temps l’exploration de ce que l’on pense être certain, puis celle de ce qui est incertain.
En partant du scénario +3 degrés du GIEC, nous avons identifié quatre grands défis pour les entreprises :
- « Source » : comment sécuriser l’accès à ses matières premières en assurant la disponibilité et le transport
- « Make » : comment continuer à produire, avec un ensemble de sous défis comme la protection de la force du travail ou les défis liés aux procédés industriels eux-mêmes
- « Protect » : comment protéger les actifs industriels qui se retrouvent exposés, notamment à des événements météorologiques extrêmes induits par le changement climatique
- « Sale » : comment identifier, compte tenu de cette nouvelle donne, les produits et services que l’entreprise peut proposer demain.
La seconde phase a consisté à modéliser tout ce qui était incertain via notre grande enquête en ligne nous ayant permis d’identifier les facteurs qui seront déterminants pour permettre l’adaptation des entreprises. Les experts ont classé les six facteurs s’étant dégagés à la fois en termes de niveau d’impact et de niveau d’incertitudes. Quatre se sont révélés à la fois très impactants et très incertains (ce que nous appelons des incertitudes critiques) :
- La réglementation : il n’est pas du tout certain qu’une réglementation imposant aux entreprises de s’adapter et comment s’adapter émerge au niveau international
- L’existence ou non de mécanismes financiers permettant l’adaptation : pour rappel, aujourd’hui 95% des mécanismes financiers liés au climat sont dédiés à l’atténuation, 5% uniquement à l’adaptation
- Le changement des habitudes de consommation: là aussi nous voyons des tendances contradictoires
- La pression compétitive : va-t-on voir émerger de la mêlée des entreprises qui mèneront la danse de l’adaptation dans leur chaîne de valeur comme pour l’atténuation ?
En croisant ces incertitudes nous avons pu construire 24 projections vers le futur, dont cinq se sont révélées les plus plausibles, différenciantes et technologiquement pertinentes :
- « Green Communities » : un changement des habitudes de consommation sans mécanisme financier, consistant à s’adapter au mieux sans coordination
- « Lonely at the Top » : les entreprises mènent la danse sur le sujet de l’adaptation, sans changement des habitudes de consommation
- « Wild Green West » : pas de réglementation mais des moyens financiers pour s’adapter
- « Don’t Look Up » : pas de moyens financiers pour s’adapter et pas de changement des habitudes de consommation
- « Adaptation Surge » : des entreprises mènent danse, des moyens financiers pour leur permettre de s’adapter sont déployés, les habitudes de consommation évoluent, une réglementation au niveau international permettant d’avoir vision intégrée et de coordonner les initiatives est mise en place.
Vous désignez un nouveau type de collaboration entre différents acteurs (gouvernements, communautés locales, entreprises, individus) pour résoudre les dilemmes liés aux comportements d’adaptation : quelles sont vos préconisations ?
Nous appelons, ainsi que beaucoup des experts avec qui nous avons travaillé, à ce que quelque chose de ce genre soit inventé. Notamment, l’importance de travailler à l’échelle locale et d’être en même temps extrêmement coordonnés. Il est en effet difficile d’imaginer comment sans, soit la contrainte soit l’initiative de l’action publique, les acteurs privés pourraient s’accorder sur une stratégie locale, qui par ailleurs pourrait contraindre leur intérêt propre.
La technologie n’est pas l’unique réponse. Il y existe des techniques, des méthodes, des façons de changer la manière dont nous travaillons, déjà avec les outils d’aujourd’hui. Et au-delà de cela, il nous paraît essentiel de coordonner les actions, plus déterminant encore que d’utiliser la dernière technologie en date pour quelque problème spécifique que ce soit.