La fondatrice des “Petites Cantines” publie “Comme à la maison”, un hymne au lien et à la confiance

Après avoir fondé "Les Petites Cantines", des restaurants de quartiers, solidaires et participatifs pour pallier la solitude et l'isolement, Diane Dupré la Tour voit son livre "Comme à la maison" édité chez Actes Sud. Un témoignage intime, inspiré par ses rencontres sur le terrain.

 

Entrepreneurs d’avenir : Diane, nous faisions une interview en septembre 2023 et présentions Les petites Cantines, restaurant participatif, que tu as co-fondé en 2016. On se retrouve quelques mois plus tard pour la sortie de ton livre chez Actes Sud. Peux-tu nous parler de la genèse et de la motivation de ce livre ?

Diane Dupré La Tour : Ce projet de livre est né d’un déclic : en 2021 je suis retournée sur le terrain, dans les chaussures d’une responsable de cantine pendant un an. Après cinq ans à travailler à la structuration de l’organisation pour le changement d’échelle, j’avais besoin de retrouver le plaisir de mes sensations : être parmi les convives, cuisiner et faire la vaisselle avec eux. Pendant un an, je les ai écoutés, j’ai écouté ce que ce projet avait transformé pour moi. Le livre commençait à s’écrire dans ma tête.

Et puis il y a autre chose. Du fait que les Petites Cantines sont des restaurants à prix libre, les médias avaient tendance à en refléter l’image d’un projet “social”, comme si c’était une offre super pour les pauvres ou les gens en grand décrochage. Or c’est un projet bien plus sociétal que social. Le prix libre s’adresse à tous. Il replace l’économie au service d’une richesse première qui est la rencontre, la qualité relationnelle.

C’est une manière de braquer collectivement nos projecteurs sur autre valeur que l’efficacité ou la performance. Je ressens une urgence à proposer cette expérience à chacun.

 

Tu as écrit un livre très personnel où tu nous fais part de moments difficiles et douloureux de ta vie. Quelle résonance y a-t-il entre cette vie qui ne t’a pas épargnée et ce que tu vis au quotidien comme entrepreneuse sociale, dans le cadre des Petites Cantines ?

Je crois que la plupart de nos conflits viennent de la différence de nos vécus et de nos perceptions. Nous gagnerions, avant de chercher à convaincre les autres de nos opinions, à partager en toute humilité nos failles, nos fragilités, pour que les autres puissent comprendre à partir de quelle expérience sociale chacune, chacun prend la parole. Ce n’est pas facile de s’ouvrir ainsi. On a peur du regard de l’autre, de son jugement, de sortir des cases toutes faites de la réussite.

Il me semble cependant que la priorité est de retisser entre nous de la confiance.

Dans mon cas, il y a un lien fort entre ce que j’ai vécu sur le plan personnel et mon engagement au sein des Petites Cantines. Une expérience d’emprise, de deuil, de confiance aussi, de rebond. Il me semble que nous sommes collectivement appelés à sortir d’une relation d’emprise : nous nous sommes enfermés dans un modèle de société qui nous aliène, nous détruit et nous mène à notre perte. Il y a des interactions à transformer, des renoncements à accepter, et un chemin de confiance à parcourir. L’enjeu de la peur de la solitude me paraît faire partir des nœuds qui sont au centre de ce système.

 

Tu parles de l’activisme qui nous caractérise, nous entrepreneur.es, actifs et actives survolté.es et qui nous coupe et nous isole de notre vraie nature. Comment se relier à nous et aux autres malgré le tumulte ?

J’ai beau travailler aux Petites Cantines, je suis loin de pouvoir proposer des recettes toutes faites !

Je dirais qu’il y a un mensonge à dénoncer, celui qui consiste à dire que nous sommes seuls. Nous ne sommes jamais seuls. Parfois, nous sommes les “seuls à” vivre, traverser, dire quelque chose, parce que personne d’autre ne pourra le faire à notre place. Cette solitude est une épreuve de soi, cependant c’est aussi une bonne nouvelle : c’est le signe que nous sommes uniques, en soi irremplaçables, précieux, et que les autres ont besoin de nous.

Mais savons-nous seulement qui nous sommes ? Ou nous laissons-nous enfermer dans des trajectoires que d’autres ont tracées pour nous ? Je ressens aussi les limites du développement personnel. Faut-il attendre d’être super “développés” pour se faire confiance ? C’est en passant à l’action, en se reliant aux autres sur des petites choses que la confiance grandit.

Le philosophe Charles Pépin dit : “la confiance en soi est un cadeau qui vient de l’autre”.

 

Ton livre est un hymne au lien, à la relation et à la confiance. Et pourtant le contexte actuel de nos existences et de l’actualité nous pousserait à l’isolement, au repli et à la peur. Comment surmonter cela et faire grandir la confiance et le lien aux autres ?

Nous traversons une période de famine relationnelle : nous avons désappris à nous relier.

Ceci n’est pas contradictoire avec une expérience de la solitude.

Observons les arbres. En période de sécheresse, ceux qui résistent le mieux sont ceux qui ont les racines les plus profondes. La solitude est source d’autonomie et de renforcement des capacités. Je fais la différence avec l’isolement, qui consiste à définir ce qu’on met dehors et ce qu’on garde dans la société. C’est donc une convention sociale. Or aujourd’hui on met dehors la différence, ce qui nous apparaît “hors norme” parce que cela nous fait peur, et on garde d’autres choses comme la violence ou l’indifférence, qui sont de vrais obstacles à notre besoin de nous sentir reliés.

Il faudrait redéfinir entre nous ce qui a sa place dans la société et ce qui ne l’a pas, c’est ainsi qu’on lutterait efficacement contre l’isolement, tout en préservant nos espaces de solitude, qui sont précieux.

Nous pouvons redessiner la ligne de séparation entre ce qui est dedans et ce qui est dehors. La différence n’est pas une menace, elle est une chance. Ce n’est pas l’autre qui est différent.e, c’est moi qui suis différent.e de lui, d’elle.

Entre nous il y a un espace qui s’appelle la relation, le lien. Celui-ci nous précède. Ce n’est pas nous qui créons le lien, c’est le lien qui nous crée.

 

Quelle sera la suite pour toi ? Un après “Petites cantines” ?

Oui il y aura un après : à l’été 2026, les Petites Cantines fêteront leurs dix ans. Il faudra célébrer ! Pour l’instant, je profite de l’engagement présent. C’est encore trop tôt pour parler de l’après. Et puis il ne faut pas chercher à tout prévoir. Comme disait François Truffaut, “la vie a plus d’imagination que nous”.

Diane Dupré la Tour, née en 1981, a débuté comme journaliste dans la presse économique. En 2016, elle a cofondé avec Etienne Thouvenot Les Petites Cantines, un réseau de restaurants de quartier, récompensé par de nombreux prix. En 2020, elle a reçu la distinction internationale de fellow Ashoka, qui soutient et accompagne des entrepreneurs sociaux visionnaires, capables de transformer en profondeur le fonctionnement de notre société. Comme à la Maison, édité aux Editions Actes Sud est son premier ouvrage.

Une interview réalisée par Coryne Nicq

Crédits photos ©Bruno-Vigneron

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


La période de vérification reCAPTCHA a expiré. Veuillez recharger la page.

Je m'inscris à la newsletter