Charlène Descollonges : L’eau douce, un trésor menacé

Dans « L’EAU » de la collection « Fake or not » aux éditions Tana, Charlène Descollonges met en lumière l’importance vitale de l’eau douce. Seulement 1% de l’eau douce mondiale est accessible, et nos activités humaines perturbent ce cycle fragile. Déforestation, urbanisation, changement climatique : découvrez comment ces facteurs influencent notre approvisionnement en eau et ce que nous pouvons faire pour protéger cette ressource essentielle pour tous les êtres vivants.

 

Entrepreneurs d’avenir : Dans un livre très utile sur « L’EAU », de la collection « Fake or not » aux éditions Tana, vous nous rappelez combien l’eau est un bien rare et précieux. Seul 1% de l’eau douce sur terre est accessible. Et l’eau douce ne représente que 2,5% de l’eau sur terre. Pourriez-vous nous rappeler quelques informations essentielles sur son cycle et sur cette rareté que l’on ne réalise pas ?

Charlène Descollonges : L’eau est précieuse mais nous oublions bien souvent que nous la partageons avec l’ensemble du vivant !
Sur Terre, l’eau douce est finalement peu accessible puisqu’elle est principalement sous forme de glace (77%) ou bien sous forme d’eau souterraine très profonde (22%). Finalement moins de 1 % est accessible à l’humanité et cette faible part circule à travers les différents stocks d’eau douce dont lesquels nous nous servons.
Ce grand cycle de l’eau parfait qui boucle les mers et océan aux continents est inexact, tout du moins incomplet. Notre représentation du grand cycle de l’eau évacue totalement nos interactions humaines avec ce grand cycle de l’eau : déforestation, urbanisation, sur-pompages, barrages, canalisation. Tout ceci a une influence sur le grand cycle a un point qu’on commence à peine à réaliser : la déforestation change le régime des pluies des régions et pays voisins, les barrages successifs et les sur-pompages assèchent le delta des fleuves, les microplastiques et les micropolluants ont désormais envahis tous les hydrosystèmes : rivières, nappes et lacs. Ce faisant, nous altérons non seulement la quantité mais aussi la qualité de l’eau disponible, la rendant moins disponible pour les populations locales et les autres espèces.
L’eau suit son cycle comme elle le peut mais au global il y a toujours la même quantité d’eau douce sur Terre. En revanche sa répartition dans l’espace et dans le temps varie et elle sera d’autant plus variable que nos activités continuerons à dégrader ce grand cycle. Le changement climatique va venir exacerber tous ces désordres de fond et vont révéler notre vulnérabilité face à ces changements majeurs.

Plus on est riche, plus on consomme d’eau. Plus globalement, qui et comment consomment on l’eau ?

Notre demande en eau qu’elle soit visible ou invisible dépend effectivement de notre niveau de vie. Il est important d’employer les bons termes en distinguant notre demande, nos consommations et notre empreinte eau car les impacts sont bien différents.
En ce qui concerne l’eau potable, des études montrent que les volumes d’eau utilisés sont généralement plus importants en habitant en maison individuelle avec jardin et bien-sûr encore plus avec une piscine, qu’en vivant en appartement.
Même si le développement non maîtrisé des piscines individuelles sur un territoire en tension hydrique peut légitimement questionner notre sens des priorités, il faut tout de même se rappeler qu’en France, les eaux usées sont traitées par une station d’épuration et qu’elles retournent aux milieux aquatiques en aval des villes, dans les rivières, et in fine à la mer.
Ensuite il y a les autres usages de l’eau, notamment pour produire notre électricité. Rappelons que l’industrie nucléaire prélève 16 milliards de mètres cubes chaque année dans les rivières et les fleuves, c’est la moitié de nos prélèvements à l’échelle nationale. Si l’essentiel de cette eau est rejetée dans les milieux, certaines centrales, notamment sur le Rhône rejettent des eaux plus chaudes et peut impacter la vie aquatique.
Mais l’usage qui consomme le plus d’eau est bien l’irrigation agricole qui consomme entre 2,5 et 3 milliards de m³ par an majoritairement pour la culture de mais, très gourmande en eau en été, quand la ressource est la moins disponible. Cette eau qui ne retourne pas dans les milieux aquatiques, quitte le territoire pour alimenter majoritairement du bétail pour la consommation de viande et de produits laitiers, en France mais aussi à l’étranger puisque nous exportons beaucoup de céréales.
Cela renvoie à la notion d’empreinte eau qui signifie que derrière chaque aliment, chaque vêtement, chaque smartphone, chaque véhicule électrique, chaque kWh d’électricité, il y a de l’eau invisible qui a été captée et/ou polluée pour le produire. Et là, plus un pays est développé avec un régime alimentaire carné, très consommateur de produits industriels, plus son empreinte eau sera élevé. Notre empreinte eau numérique commence également à prendre de l’ampleur, notamment pour le stockage de données dans les data centers refroidis à l’eau !

Les changements climatiques se font maintenant sentir. Pas assez ou trop d’eau dans certaines régions du monde ? comment allons nous vivre ce nouveau rapport à l’eau ?

Le changement climatique va bouleverser ce grand cycle de l’eau mondial. L’élévation des température va induire un changement dans les régimes de précipitation, cela dépendra des courants atmosphériques et océaniques.
Certaines régions recevront plus de pluie à l’année, c’est le cas de l’Afrique tropicale, une partie de l’Arabie Saoudite et l’Inde, et d’autres régions vont s’assécher comme l’Amérique centrale, tout le pourtour Méditerranéen, l’Afrique du Sud et une partie de l’Indonésie.
Mais c’est surtout la répartition saisonnière des pluies qui va évoluer et rebattre les cartes de la répartition de l’eau douce.
En France, nous aurons des sécheresses de plus en plus sévères et longues en été, parfois précoces et/ou tardives, et des précipitations plus intenses en hiver. Nous aurons des pluies plus intenses tombant sur des sols plus secs, l’eau aura donc de plus en plus de difficultés à s’infiltrer en profondeur, dans les nappes qui sont nos principaux réservoirs naturels pour l’eau potable. D’un autre côté, le ruissellement risque d’augmenter, aggravant les inondations.
Nous allons devoir nous adapter à ces extrêmes hydrologiques plus intenses et plus fréquents. Cette adaptation va impacter nos modes de vie et tous les pans de notre société. Pour être en capacité d’absorber ces chocs et s’en remettre rapidement, nous devons travailler sur notre robustesse et notre résilience. Et la manière de le faire est de s’inspirer des écosystèmes, des solutions fondées sur la nature. L’hydrologie régénérative ouvre cette voie de régénération des hydosystèmes, à l’échelle des bassins versant, pour réparer ce que nous avons abîmé et recréer toutes les conditions favorables à la biodiversité, pour ralentir le cycle de l’eau et retrouver des rivières vivantes.

L’eau est un enjeu très politique, qui doit se gérer à plusieurs échelles (locales et internationales). Quelles préconisations faites-vous pour gérer les crises de l’eau ?

L’eau est un enjeu éminemment politique et démocratique. Nous devons ériger cette question de la commune jusqu’aux instances internationales. En France nous avons la chance d’avoir ces parlements de l’eau à l’échelle des grands fleuves et de leurs affluents, mais leur fonctionnement doit évoluer pour mieux prendre en compte l’intérêt des milieux aquatiques. Il y a une perspective intéressante : les gardiens des rivières. Ce sont des citoyens volontaires et tirés au sort, suivant une formation sur les enjeux de l’eau et appelés à s’exprimer pour protéger leur cours d’eau. C’est une forme de démocratie participative qui s’expérimente actuellement sur le Rhône avec l’Assemblée populaire du Rhône. Avec d’autres mouvements sur la Seine, la Loire, la Garonne, les citoyens appellent à reconnaître les rivières comme sujet de droit avec des droits fondamentaux, d’être en bonne santé et de pouvoir circuler librement.
Cela nous demande de faire preuve d’hydrodiplomatie, dépasser nos clivages politiques et idéologiques et surtout dépasser notre peur de l’étranger. Car l’eau ne connaît pas d’autres frontières que celles de son bassin versant. Elle se fiche complètement de nos limites administratives créées par les hommes. Charge à nous de décentrer nos intérêt et de nous mettre autour d’une table pour coopérer à la bonne échelle, avec ce mantra : l’eau est un commun à partager avec l’ensemble du vivant.

A l’échelle des citoyens mais aussi des entreprises, quels comportements doit-on avoir avec l’eau ?

Nos corps sont composés d’eau, nos entreprises dépendent de l’eau. L’eau est donc vitale à nos corps et à notre économie sauf que nous l’avons oublié. Nous devons absolument la remettre au cœur de nos préoccupations, comprendre en quoi nous sommes interdépendants aux hydrosystèmes.
« Un fleuve est le miroir d’une société » nous dit l’académicien Erik Orsenna.
En France, dans notre société, plus de la moitié des rivières et des nappes sont en mauvais état car ils subissent de nombreuses pressions.
Mais en fait, on peut retrouver toutes ces pressions à l’intérieur de nous.
C’est comme si les rivières souffraient et que nos corps souffraient avec elles.
Par exemple, diriez-vous que vous êtes souvent fatigués ? Que votre travail ou qu’une personne vous pompe trop d’énergie ?
Et bien pour les rivières et les nappes c’est pareil. Elles fatiguent car les hommes pompent trop d’eau par rapport à leur capacité à se recharger naturellement.
Autre exemple. Il n’y a jamais eu autant de dépression, d’obésité ou de maladies chroniques. Pesticides et engrais de synthèse, hydrocarbures, microplastiques, médicaments, alcool, drogue, cigarettes. Toutes ces substances qui traversent nos corps finissent par s’accumuler dans les rivières. Rivières qui finissent, aussi, par tomber malade.
Dans une perspective de OneHealth – une seule santé systémique – nous devons prendre conscience de cette interdépendance pour soigner nos corps et prendre soin des hydrosystèmes.
Une fois cette prise de conscience acquise, il faut s’informer et se former. C’est un préalable avant la mise en action. Savoir combien on consomme d’eau mais surtout quelle est notre empreinte eau. Puis chercher la sobriété et à ralentir nos modes de vie, qu’ils soient plus sains, moins stressants, et s’alimenter avec une alimentation issue d’une agriculture qui prend soin des sols et de l’eau. Ensuite, au sein des organisations, il s’agit de contribuer à la régénération des hydrosystèmes par des choix de financement et/ou de conception.
Les solutions sont là, nous n’avons plus qu’à les déployer !

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Crédit photo : Clémentine Gras

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