Vers des territoires résilients : Le rôle pionnier de France Villes et Territoires Durables
La multiplicité des acteurs et leurs enjeux spécifiques compliquent la dynamique harmonieuse d'un territoire vers la résilience, chacun tendant à prioriser ses propres intérêts. France Ville et Territoires Durables s'impose comme chef d'orchestre pour proposer des solutions et réinventer les modèles urbains. Découvrez l'interview de Sébastien Maire, délégué général de l'association.
Entrepreneurs d’avenir : Pouvez-vous nous fournir un aperçu des missions et des objectifs principaux de France Villes et Territoires Durables ?
Sébastien Maire : Les scientifiques le répètent : l’enjeu écologique aujourd’hui n’est ni plus ni moins que l’habitabilité des territoires et la perpétuation de l’espèce humaine. Devant un tel défi, il est l’heure de réformer profondément les modèles qui ont guidé jusqu’ici les politiques d’aménagement et de partager le plus largement les méthodes et les exemples de réalisations susceptibles d’inspirer les décideuses et décideurs, pour des territoires plus durables et résilients.
C’est la mission de notre association. Elle s’appuie sur une collaboration étroite avec l’État (et ses agences et opérateurs), des collectivités locales (et certaines de leurs fédérations), des entreprises (de toute taille et secteurs d’activité) et des experts des différentes disciplines de la transformation écologique des territoires.
Comment repenser l’idée d’attractivité locale ? Comment répondre aux besoins des habitants et des entreprises tout en tenant compte des limites écologiques ? Comment adapter les villes aux vagues de canicule et aux dérèglements environnementaux ? Comment réorienter les projets d’un mandat ? Et comment embarquer les parties prenantes locales autour d’une trajectoire plus résiliente ? Autant de questions auxquelles l’association s’attache à répondre, à travers ses groupes de travail thématiques, ses journées d’inspiration sur le terrain et ses partenariats internationaux. L’ADN de l’association, c’est sa vocation opérationnelle, le passage à l’action.
En quoi consiste exactement le concept de ville et territoire durable selon vous ? Et comment cette vision intègre-t-elle les notions de résilience et de régénération urbaine ?
Le concept a beaucoup évolué au rythme des publications scientifiques. Le développement durable est un oxymore qui ignore la limite des ressources dans lesquelles il puise. Popularisé il y a 30 ans, il n’a pas montré son efficacité face aux enjeux environnementaux. La smart city a fait long feu et le technosolutionnisme est une impasse.
Il est temps de dépasser ces approches pour considérer l’ensemble des limites physiques de la planète , d’autant que six de ces neuf limites sont d’ores-et-déjà franchies. En considérant non seulement le réchauffement climatique, mais aussi l’ensemble des conditions essentielles à la vie sur Terre (le cycle de l’eau, le rôle des sols, les équilibre biochimiques…), il convient de viser la régénération des territoires. C’est le cadre logique qui guide les activités de l’association, le fil conducteur de notre manifeste récemment mis à jour par notre comité scientifique.
Face aux défis complexes tels que le changement climatique, la pression sur les espaces fonciers, les problèmes de mobilité et les inégalités sociales, quelles sont les principales approches stratégiques adoptées par France Villes et Territoires Durables pour répondre à ces enjeux ?
Avant toute chose, l’Homme fait partie du vivant. Il n’est pas au-dessus d’une nature dont il pourrait s’émanciper. Cet incontournable changement de vision est fondamental. Il implique une refonte complète des principes de l’aménagement, au profit du nécessaire ménagement des espaces. Autrement dit, plutôt qu’un « développement » qui a souvent rimé avec étalement de l’urbain et épuisement des ressources, il est temps de régénérer les espaces, en prenant soin de l’existant et en réinstallant les fonctions écologiques naturelles. Valoriser les eaux pluviales, préserver les fonctions écosystémiques des sols, renforcer le vivant et renaturer les espaces… voilà la matrice de la ville durable !
Ensuite, la sobriété dans les approches est essentielle. L’économie du donut, théorisée par Kate Raworth, constitue à cet égard une boussole pertinente. Elle permet d’envisager les activités humaines entre un plancher social et un plafond environnemental, qui délimitent un « espace sûr et juste pour l’humanité ». Autrement dit, répondre aux besoins essentiels mais en tenant compte des limites. C’est un changement complet de paradigme. Et un champ immense d’apprentissage pour les décideuses et décideurs : élus, entreprises…
Pourriez-vous nous parler de quelques initiatives concrètes mises en œuvre par votre association pour promouvoir la résilience des villes et des territoires en France ?
Elles sont nombreuses ! L’association travaille actuellement à l’élaboration d’outils pratiques pour rendre concrets les concepts des limites planétaires et de l’économie du donut à l’échelle des politiques publiques locales. Comment vérifier que la requalification d’un quartier ou l’installation d’un nouveau service répondent aux besoins des habitants sans ne plus franchir les limites qui conditionnent notre avenir ?
L’association héberge la rédaction d’une thèse sur la territorialisation des limites planétaires. Nous travaillons sur ce que serait un diagnostic local plus complet, plus conforme à ces enjeux. Avec l’ambition qu’il soit utile aux élus locaux qui débuteront leur mandat en 2026. Face à l’urgence environnementale, on n’a plus le temps d’attendre…
Nous portons aussi une dynamique « résilience » avec le CEREMA, associant un réseau de collectivités qui prend de l’ampleur.
Plus en aval dans les politiques locales, France Villes et Territoires Durables se penche aussi sur la question de la bifurcation et de la priorisation des projets dans une collectivité. L’association inspire élus et techniciens, à travers des grilles élaborées avec les équipes locales, pour vérifier la compatibilité des projets avec les attendus socio-écologiques les plus actuels.
Finalement, et notamment au travers de nos événements et de nos groupes de travail, France Villes et Territoires Durables vise la montée en compétences des acteurs, en mobilisant l’expertise de nos membres sur des sujets précis, de la stratégie au déploiement des solutions opérationnelles.
Comment collaborez-vous avec les acteurs locaux, régionaux et nationaux, y compris les entreprises, les institutions publiques et la société civile, pour maximiser l’impact de vos actions et promouvoir une transition vers des modèles urbains plus durables ?
La spécificité de l’association réside dans sa capacité à fédérer l’ensemble des parties prenantes professionnelles, publiques et privées, de la ville et des territoires. Notre ambition est que les élus, services des collectivités, l’Etat et ses opérateurs publics, les entreprises et l’ensemble des parties prenantes locales, y compris les habitants, fassent système autour de la trajectoire à suivre. Nous entendons donc, à chaque rencontre, inclure l’ensemble des acteurs.
Les ateliers d’inspiration que nous animons pour les collectivités sont des moments de dialogue et mise en synergies de tous ces acteurs, qui mobilisent les expertises de nos membres, sur l’ensemble des secteurs de compétence, pour une approche systémique des enjeux locaux.
A l’échelle nationale, Villes Durables en Actions est notre événement étendard, ouvert à tous les professionnels, pour faire le point sur les avancées et contribuer à la massification des bonnes pratiques : la prochaine rencontre aura lieu à Bayonne les 6 et 7 février 2025.
Nous multiplions aussi les partenariats et contribuons bien volontiers aux expériences qui nous paraissent aller dans le bon sens. Et c’est éminemment le cas de l’Université de la terre !
Enfin, comment voyez-vous l’avenir de l’urbanisme durable en France, et quelles sont vos aspirations pour le développement des villes et des territoires dans les années à venir ?
Tout l’enjeu est là : quel « développement » souhaitons-nous ? Face au dépassement des limites physiques de la planète, les développements souhaitables sont ceux de la qualité de vie, de la solidarité, de la sobriété…
En réalité, la ville de demain est déjà là pour l’essentiel, l’enjeu des politiques urbaines est la préservation et l’adaptation de l’existant, végétal et bâti. Cela implique un bouleversement de nos imaginaires et de nos repères les plus ancrés. Les arts et la culture doivent probablement jouer un rôle central pour cette trajectoire plus résiliente, tant dans l’évolution de nos représentations qu’en matière d’émulation collective.