La Petite Princesse et l’humanité réconciliée : entretien avec Jean-Pierre Goux
Explorez l'univers inspirant de Jean-Pierre Goux, mêlant transition énergétique, amour inconditionnel et rêves de Révolution Bleue. Plongez dans son interview, révélant les liens entre sciences, littérature et l'essence de notre avenir collectif.
Entrepreneurs d’avenir : Jean-Pierre tu as un parcours intéressant qui t’a mené de la recherche en mathématiques en passant par la transition énergétique, à l’entrepreneuriat et la présidence de l’Institut des Futurs Souhaitables (bien connu des Entrepreneurs d’avenir) de 2019 à 2023 : peux-tu en quelques mots nous en dire plus sur les liens que tu fais entre tes différentes disciplines, sur ton ONG « OneHome » et nous livrer l’intention profonde qui a pris place au cours de ton passage à l’écriture ?
Jean-Pierre Goux : Pour moi, toutes ces différentes fonctions servaient le même rêve d’enfant, contribuer à réconcilier l’humanité et la biosphère, via des prismes et des moyens d’action différents : la science pour la compréhension des phénomènes et penser les stratégies, la transition énergétique pour agir dans l’un des plus importants chantiers du siècle, l’entrepreneuriat car je crois à la force du collectif et au modèle d’entreprises alignées pour résoudre une partie des défis de notre siècle, l’Institut des Futurs souhaitables pour l’aspect éducation et former une école de « jedis » de la transition, et OneHome pour contribuer à la prise de conscience de notre situation cosmique et au miracle d’exister, en faisant vivre à tous l’overview effect (« effet de vision globale », connu des astronautes, lorsqu’ils regardent la terre depuis l’espace). En ce qui concerne le roman, cela n’a pas été un virage, cela a toujours été présent depuis 25 ans. J’ai toujours été frappé que l’on ait fait de la transition écologique à la fois l’angoisse la plus profonde et le processus le plus ennuyeux. J’avais le sentiment profond qu’il s’agissait au contraire de la plus extraordinaire des métamorphoses de l’humanité et je voulais donner un souffle épique et merveilleux à cette phase si particulière dans l’histoire de notre espèce. C’est une tentative de réponse à la crise d’imaginaire que je voyais partout autour de moi et qui conduisait les uns et les autres à s’opposer, plutôt qu’à collaborer.
Tu as entamé une véritable saga avec « Siècle Bleu » éditée aux Editions de la Mer Salée en grand format et chez Actes Sud en poche qui comprend deux romans (Le rêve de Gaïa en 2010 puis Ombres et Lumières en 2012). Le nouveau récit qui vient de sortir, fruit de ton imaginaire (« La Petite Princesse »), premier tome d’une nouvelle saga intitulée Révolution bleue, nous donne à lire et à comprendre une anticipation de ce monde en métamorphose.
De ton côté c’est avant tout une incroyable suite de synchronicités qui t’a mené à partager un parti-pris sur un effet probable de basculement, guidé en cela par le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry : comment as-tu choisi de placer le curseur entre ce qui pourrait relever d’un documentaire et ce qui est du domaine de la fiction, entre ce que l’on connaît ou croit connaître de la réalité et l’anticipation ?
Oui, il y a eu une extraordinaire série de synchronicités (que je raconte sur le site Internet du livre) qui ont mené à l’écriture de cette nouvelle saga. Au départ, j’avais quitté fin 2019 mon poste de directeur général de Powernext (entreprise qui gérait les marchés de l’énergie en Europe) pour me consacrer à 100% à la transition et à l’ONG OneHome. Avec le Covid et l’impossibilité d’organiser des évènements physiques pour OneHome, j’ai dû changer de cap et décidé de mettre à profit cette transition pour me consacrer à la recherche que j’ai toujours voulu faire : identifier un nouveau paradigme qui permettrait de rendre la transition écologique irrésistible. A ce stade, je ne cherchais pas à écrire de nouveau roman, même si j’avais cela à l’arrière de ma tête depuis 10 ans. Mes recherches m’ont amené à reformuler la crise écologique comme une crise évolutionnaire d’Homo Sapiens et je me suis donc intéressé à la question : quelle pourrait être la nouvelle forme vers laquelle pourrait tendre notre espèce ?
Soudain la forme m’est apparue, je l’appelle Homo Biospheris, un collectif planétaire de huit milliards d’humains, une humanité géante sur une petite planète et qui décide de s’unir et de prendre conscience d’elle-même. Je m’aperçois alors que ce secret était caché depuis 80 ans sur la couverture du Petit Prince, lui-même un être géant sur une petite planète.
C’est à ce moment qu’est née l’envie de raconter dans un roman, le récit de la métamorphose d’Homo Sapiens vers Homo Biospheris, avec tous les obstacles individuels et collectifs pour y parvenir. C’est cela la Révolution bleue, le double-récit de la transformation écologique du monde et de la métamorphose de l’humanité. Pour moi, l’un ne va pas sans l’autre. Le roman prend la forme d’un thriller car un tel changement de paradigme, suscitera des oppositions fortes, notamment de la Chine dans le livre, qui avait une autre idée pour la suite de l’humanité, celle d’une humanité au service de son Empire.
Comme le cœur est l’activateur de cette humanité unie, j’ai décidé de prendre comme personnage principal une petite fille, la Petite Princesse. Lorsque j’ai fini la première version du livre, j’ai découvert une lettre quasiment inconnue d’Antoine de Saint-Exupéry resurgie en 2021 et dans laquelle Antoine de Saint-Exupéry promettait à sa femme d’écrire et de lui dédier la suite du Petit Prince, qui devait s’appeler La Petite Princesse. J’ai alors placé ce manuscrit perdu de Saint-Exupéry au cœur de l’intrigue et puis, cerise sur le gâteau, lorsque la famille d’Antoine de Saint-Exupéry a entendu parler de ce projet, ils ont accepté de le soutenir et Olivier d’Agay, petit-neveu de l’écrivain aviateur, en charge de la succession et de la fondation, a accepté d’en écrire la préface.
Entrons un peu dans le vif du sujet (ami.e.s Entrepreneur.e.s d’avenir, il va vous falloir lire cette Petite Princesse) : est-ce que la clé de voûte pour aller vers « Homo Biospheris » réside à tes yeux dans l’ultime message* de Paul Gardner, ton héros ? (*Extrait : « Nourrie par une simple vision poétique, celle d’une humanité unie par l’amour de sa petite planète bleue, elle (la Révolution Bleue) sera compatible avec toutes les croyances, avec toutes les idéologies et toutes les religions »).
Cette idée peut effectivement résumer la proposition du livre, mais comme les vérités les plus simples sont souvent les plus difficiles à admettre, le lecteur ou lectrice aura besoin de lire les 500 pages pour se laisser convaincre par cette idée. En effet, si l’on dézoome la situation de l’humanité dans l’espace et dans le temps, on se rend compte que nous vivons sur une petite planète minuscule, dans les confins de la Voie lactée, et que de cette distance, la seule manière d’avoir une relation durable avec la Terre, est de formuler le destin de l’humanité comme un organe de la biosphère, ce qui nécessiterait d’énoncer enfin le grand projet humain et d’expliciter quelles pourraient être nos fonctions vis-à-vis de la Terre. Beaucoup pensent que nous sommes un cancer pour notre planète et que celle-ci se porterait mieux sans nous, mais le roman défend le point de vue inverse : nous avons été voulus par la Biosphère, nous sommes encore dans une forme adolescente, et lorsque nous serons enfin unis (ce qui est une nécessité pour aborder le péril du dépassement des limites planétaires), nous participerons à aider la Biosphère dans sa propre évolution, par exemple pour prendre soin d’elle, pour l’aider à se connaître elle-même ou à rechercher la vie ailleurs dans l’univers. Nous aurons besoin à un moment d’organiser un grand débat planétaire sur les fonctions et les rôles de l’humanité.
Que peux-tu nous dire (compte tenu de ton parcours de scientifique et d’entrepreneur) du pouvoir de transformation de l’Amour inconditionnel, l’Agapé, qui permettrait à l’humanité de continuer à vivre au rythme de Gaïa, dans un cœur à cœur où chacune et chacun saura trouver sa liberté, ses racines et son accomplissement : sa place en quelque sorte ?
Aujourd’hui, l’essentiel du discours sur la transition écologique est économique et technique. Il considère le « système » comme une entité extérieure à reconstruire, à reconfigurer, alors que ce système n’est que le reflet de qui nous sommes. Le discours actuel élude donc la plus grande inconnue de l’équation : l’espèce humaine. Aujourd’hui, l’espèce humaine est marquée par l’accroissement de la haine et de la division, ce qui remet en cause notre capacité à agir tous ensemble pour la transition. Or, la seule force qui peut s’opposer à la haine et la division, c’est l’amour inconditionnel, l’Agapé. Ce que j’ai pu constater dans ma vie d’entrepreneur ou de gérant d’ONG, ce qui empêche la transition, c’est le manque amour. Manque d’amour envers les humains, manque d’amour envers les générations futures, manque d’amour envers le vivant, manque d’amour envers nous-même. Pour former ce collectif humain planétaire, uni dans la diversité de chacun, les héros du roman tentent le pari fou de faire de l’amour une stratégie et de laisser circuler cette énergie incroyable. Et ça marche. Cette idée est prônée par toutes les sagesses et religions depuis des millénaires, mais elle n’a jamais été tentée à grande échelle. Le moment est venu. Le roman permet d’explorer cette voie et tous les écueils qu’elle aura à surmonter pour triompher.
Les protagonistes de ton histoire, et notamment Lucy, Abel et tous ceux de la Biosphère se positionnent face aux puissances politiques et économiques vis à vis du solutionnisme et de la tech à tout crin : « Le problème n’était donc pas la technologie, mais la manière dont elle était connue, fabriquée, utilisée et recyclée. » Quelles sont à tes yeux les forces positives en marche pour identifier puis choisir les solutions pour s’adapter sans attendre aux limites planétaires ?
La Révolution bleue, grand mouvement citoyen mondial, est fondée sur la créativité, l’enthousiasme et l’amour. La technologie y joue donc un rôle mais ce rôle n’est pas le seul. De plus, les héros prônent une refonte complète de la manière dont nous concevons nos technologies, en nous inspirant de la nature. La Révolution bleue revendique un biomimétisme intégral, rappelant que la nature est-elle-même technologique. Un œil humain est plus sophistiqué que n’importe lequel des iPhone, mais lui est entièrement biodégradable à la fin de notre vie. La moindre cellule est plus complexe qu’une usine SpaceX. L’intelligence de la Nature impose l’humilité. Au lieu de l’asservir, nous pourrions considérer, comme le font encore les peuples premiers, que la Nature est un maître. Léonard de Vinci disait « va dans la nature, c’est là qu’est ton futur ».
Enfin, les rôles que tu attribues aux rêves et à l’intention, à la fois centre et moteur du processus d’adaptation semblent être une voie que beaucoup cherchent aujourd’hui : quel est ton rêve à toi pour Gaïa ? Et la première action à engager, là tout de suite, pour aujourd’hui et demain ?
La crise que traverse l’humanité n’est pas qu’écologique, sociale ou économique. C’est avant tout une crise narrative, une crise d’imaginaire et on pourrait même dire une crise onirique. En effet, l’humanité n’a plus de grand rêve et nous sommes enfermés dans nos paradigmes économiques mortifères. Pour sortir de cette nasse, nous devons retrouver notre capacité à rêver, individuellement et collectivement, afin de nous projeter non pas vers seulement un monde désirable mais aussi vers une humanité désirable. Une espèce qui n’a plus de rêve est une espèce qui cesse d’évoluer et condamnée à disparaître. Nous devons reprendre nos rêves au sérieux et en faire une stratégie, c’est ce que les héros de « La Petite Princesse » font avec les centaines de millions de partisans de la Révolution bleue.
Mon rêve à moi, est celui que j’exprime dans ce roman, celui d’une humanité qui prend enfin conscience d’elle-même en tant que « Collectif » et décide de prendre son destin en main, au service de la Biosphère. Concernant la première action à engager, je vais peut-être vous surprendre, mais pour moi la plus grande urgence est de changer notre regard sur le monde et de retrouver notre capacité à nous en émerveiller, comme nous l’enseignent le Petit Prince et maintenant la Petite Princesse. Cet émerveillement sera un commun précieux pour bâtir ensemble le monde de demain. On aime ce qui nous émerveille et on protège ce que l’on aime, disait Jacques-Yves Cousteau. Cette phrase n’a jamais été autant d’actualité. Vive la Révolution bleue !
Une interview recueillie par Coryne Nicq – Entrepreneurs d’avenir 02 2024®
Crédit image : @Mary-LouMauricio
Photographe talentueuse et engagée qui développe également le programme BornInPPM : vous pourrez y retrouver des Entrepreneurs d’avenir et la solliciter pour vous faire « tirer le portrait ».