No more plastic !
Trop de plastique dans les océans. Rosalie Mann milite pour une déplastification de la planète. La solution : limiter drastiquement le plastique recyclé. Sensibilisation aux risques de cette pollution sans fin et aux alternatives au plastique.
Entrepreneurs d’avenir : Vous avez fondé l’association No More Plastic en 2018. Pourriez-vous revenir sur cette prise de conscience et le chemin parcouru dans vos engagements et actions ?
Rosalie Mann : Ma prise de conscience est survenue tardivement. La preuve qu’on peut tous ouvrir les yeux et changer de cap à tout moment. Il n’est jamais trop tard. Longtemps, j’ai vécu dans le tourbillon d’une vie active, jonglant entre mes obligations professionnelles et personnelles, loin des préoccupations environnementales, jusqu’à ce qu’elles surgissent brusquement dans nos vies en raison des problèmes de santé de notre fils.
Depuis sa naissance, il souffrait d’asthme chronique, mais avec le temps, ses difficultés respiratoires se sont intensifiées. Un soir, aux urgences, face à ma détresse, un médecin pour me rassurer m’a dit ces mots que je n’oublierai jamais : ‘C’est normal, c’est la pollution.’ Ces deux mots dans la même phrase m’ont fait l’effet d’un électrochoc. Comment en sommes-nous arrivés au point où la pollution est considérée comme un état normal, qu’il nous faut tolérer ou vivre avec ?
Depuis que j’ai fondé No More Plastic, notre mission a évolué en fonction des études qui nous ont été remontées par la science mais très tôt, j’ai compris qu’il y avait un problème avec le recyclage du plastique. Le plastique recyclé est un fléau marketé et commercialisé comme un matériau qui contribue à sauver la planète, or il participe en réalité à aggraver la pollution plastique et le changement climatique.
Notre mission première est d’agir pour prévenir la pollution plastique et microplastique, devenue aujourd’hui un enjeu de santé publique, en sensibilisant le public et les décideurs aux effets de la surconsommation et de la surproduction de plastique. Nous travaillons à mettre en place des mesures pour lutter contre le fléau de la pollution plastique et à promouvoir des solutions alternatives durables.
En cinq ans, nous avons contribuer à faire connaître les effets délétères du microplastique sur la santé et nous continuons à sensibiliser sur le sujet notamment en mettant l’accent sur deux points importants : les femmes sont plus vulnérables à cette pollution plastique invisible du microplastique, et le recyclage du plastique n’est pas la solution, il participe au problème.
Comment expliquez-vous que les dangers sanitaires de l’invasion du micro plastique dans nos corps et dans notre environnement soient largement sous-estimés et laissés sous silence ?
Sans doute parce que cela implique d’apprendre à désapprendre nos idées reçues sur le plastique et notamment sur le plastique recyclé. On nous fait croire que la société serait désemparée sans plastique dans son quotidien.
Le plastique a changé le monde comme aucun autre matériau au point qu’il semble être devenu essentiel dans notre société moderne.
Face aux ravages connus sur la santé et l’environnement, ne serait-il pas temps de changer de paradigme ?
La sensibilisation suscite trois attitudes distinctes : ceux qui veulent toujours plus de preuves, ceux qui n’osent pas imaginer que cette menace soit réelle, ceux qui reconnaissent le problème, mais estiment que compte tenu de l’ampleur de cette pollution invisible, il est difficile d’apporter une solution significative. Résultat, une tendance à l’inaction.
Pendant ce temps, les producteurs de matières plastiques font pression pour promouvoir et faire adopter toujours plus de circularité des plastiques sous le prétexte de parvenir à la neutralité carbone. Cependant, ce que l’on oublie de mentionner, c’est que le plastique, recyclé ou non, émet des gaz à effet de serre lorsqu’il est exposé aux rayons UV tout au long de son cycle de vie, ainsi que lors de sa dégradation dans l’environnement sous forme de déchets. Si nous voulons vraiment avoir un impact sur le réchauffement climatique, nous devons d’abord résoudre la question de l’éradication des déchets plastiques et non vouloir à tout prix les remettre en circulation dans les usages de nos vies quotidiennes.
Pourriez-vous nous parler des principales industries émettrices de microplastiques et notamment du textile ?
L’industrie des emballages, du pneu et du textile sont les trois premiers pourvoyeurs de cette inflation aussi funeste qu’exponentielle.
Le polyester, le nylon, l’acrylique et d’autres fibres synthétiques – qui sont toutes des formes de plastique – représentent désormais près de 69% de la production totale de fibres, et si l’industrie continue sur sa trajectoire actuelle, elles représenteront 73% de la production totale de fibres d’ici 2030. C’est dire…
Les fibres synthétiques sont bon marché car ils sont faits à base de plastique que nous produisons dans une quantité astronomique. La production de plastique à grande échelle est également soutenue par l’industrie pétrochimique, car le plastique est fabriqué à partir de produits pétroliers.
Plus la production de plastique est élevée, plus il devient compétitif en termes de coût par rapport à d’autres matériaux. C’est pourquoi, il est si important de taxer et de réglementer l’utilisation de ce matériau à la source, et demander à toutes les sociétés, produisant et commercialisant des produits à base de plastique, qu’elles aient l’obligation de mentionner sur leurs produits qu’ils libèrent des microparticules dans l’air et dans l’eau lors de leur utilisation et de leur lavage, et en avertissant des risques qu’ils font peser sur notre santé, au contact de la peau ou de l’organisme.
Une seule charge de lessive libère des centaines de milliers de fibres de nos vêtements dans l’approvisionnement en eau, et nos vêtements en fibres synthétiques génèrent également des microplastiques lorsqu’on les porte. Une étude datant de février 2020 a révélé que la libération directe de microfibres dans l’air est aussi importante que dans l’eau.
Vous portez en ce moment une action avec Woolmark. La laine est en effet une alternative au plastique dans le textile. De quoi s’agit-il ?
Nous sommes très fiers de nous associer à Woolmark pour lancer un plaidoyer à l’industrie de la mode, intitulé « Filter by Fabric ».
“Filter by Fabric” est un appel pressant à l’action destiné à chaque marque de mode, détaillant, designer textile, éditeur et créateur de contenu, les exhortant à s’engager en faveur d’étiquettes de produits claires et sincères qui fournissent des descriptions précises des tissus. Il encourage également les citoyens à tenir compte de l’impact de la composition des tissus pour prendre des décisions éclairées axées sur la durabilité. Par exemple : un produit contenant des matières synthétiques devrait être indiquer comme un produit contenant du plastique.
La mode doit être plus transparente et durable et pour cela la prise en compte et une communication claire des tissus est essentielle.
Vous voulez faire entendre aux politiques, industriels, et citoyens que le recyclage du plastique n’est pas la solution. Pourquoi ? et quelles sont les solutions ?
Le plastique recyclé nous fait perdre un temps précieux, il donne l’illusion que nous sommes sur la bonne voie.
Arrêtons de parler de transition quand il s’agit du plastique recyclé. Le recyclage du plastique est au contraire un accélérateur et un amplificateur de cette pollution.
Ce qui rend par ailleurs, le plastique recyclé si dangereux est qu’il est présenté de façon mensongère comme une solution écoresponsable. On salue les entreprises et les personnes qui l’utilisent. On leur remet des prix. Les générations futures seront déconcertées par notre aveuglement face à la réalité de la situation.
Contrairement aux idées reçues, se tourner vers le plastique recyclé ne garantit pas l’innocuité du produit, au contraire cela augmente la toxicité du matériau et contribue davantage à la pollution plastique par les microplastiques qu’il génère. Il est temps de cesser de considérer le plastique comme une ressource précieuse que l’on peut remettre en circulation soit par le recyclage soit par le réemploi, comme si cela permettait d’annuler toutes les conséquences néfastes pour la santé et l’environnement.
Le 4 septembre dernier, le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) a publié un “draft zéro” du futur traité international contre la pollution plastique, dont les conclusions sont attendues pour fin 2024.
Il est encore temps de faire de ce texte un pas historique vers la déplastification de notre planète.
Les prochaines sessions auront lieu ce mois-ci puis en avril 2024.
Cet engagement – le plus important depuis l’Accord de Paris sur le climat – pourrait marquer un tournant dans la lutte contre la pollution plastique. Avec lui, nous avons une occasion de progresser dans la protection des citoyens contre ce fléau qu’est la pollution plastique, si des décisions courageuses sont adoptées, comme par exemple d’en finir avec le recyclage du plastique qui participe à exacerber la pollution, et d’investir dans l’éradication des déchets plastiques par les enzymes, ou encore d’interdire l’usage du plastique recyclé dans les produits du quotidien destinés aux enfants et aux femmes. Les risques liés à la pollution plastique ne sont pas minimes, bien au contraire, et nous ne devons aujourd’hui cesser de les sous-estimer.