“Fashion Fake or not”, l’industrie textile sous toutes les coutures

"Fashion Fake or not", dans cet ouvrage Catherine Dauriac décrypte l'industrie textile et apporte des solutions alternatives pour concilier le secteur de la mode et la survie de notre planète bleue.

Vous êtes présidente de Fashion Revolution France, pouvez-vous nous en dire plus sur ce mouvement ?

Catherine DAURIAC L’ONG britannique Fashion Revolution est née le 24 avril 2013, jour de l’effondrement du Rana Plaza, un immeuble de 7 étages renfermant des ateliers de couture. Sous le choc de cette catastrophe – la pire que l’industrie textile ait connu à ce jour avec 1138 morts et 2500 blessés surtout des jeunes femmes, Carry Sommers et Orsola de Castro, deux créatrices anglaises ont lancé le hashtag #WhoMadeMYClothes sur Twitter pour demander des comptes aux donneurs d’ordre, les grandes marques internationales dont les étiquettes ont été retrouvées dans les décombres. Chaque année, nous commémorons ce drame tragique avec la Fashion Revolution Week qui a lieu autour du 24 avril au niveau mondial. Aujourd’hui, Fashion Revolution compte 14 Bureaux officiels dont la France, et est représentée par des collectifs dans plus de 88 pays. C’est la plus grande organisation au monde qui traite des questions de transparence dans la chaine de valeur textile (avec l’Index de Transparence qui sort tous les ans courant juin), mais aussi de justice sociale – droits des travailleurs et travailleuses du textile dans le monde (80% de femmes souvent très jeunes) et de la justice environnementale liées aux pollutions diverses constatées près des usines de teintures, dans les champs de coton, ou dans nos vêtements souvent très toxiques. N’oublions pas que la mode génère d’immenses bénéfices tout en étant responsable de l’émission de 3,3 M de GES par jour. Notre mission est d’informer le grand public, les politiciens pour les inciter à changer les lois de régulations, et de proposer des solutions.

La marque de mode Shein représente 12% du total du CO2 émis par les adolescents, comment les inciter à moins consommer ou à consommer des alternatives à la fast fashion ?

Les adolescent.es sont des proies faciles pour ces marques-voyous qui les enferment dans un système délétère. Comment résister à ces publicités permanentes et aux prix dérisoires proposés ? Tout passe par l’information. Ces vêtements produits à un rythme de plus en plus rapide – on dit « ultra fast fashion » pour Shein – sont fabriqués en 3 jours par des ouvrier.es surexploité.es (pas de salaire vital, un seul jour de congé par mois, des cadences infernales). De plus, ces vêtements de piètre qualité, constitués de polyester et de matières synthétiques sont extrêmement toxiques. On y a retrouvé des substances interdites en Europe comme le chrome, le cadmium ou même de l’arsenic, sans parler des perturbateurs endocriniens. C’est donc un énorme problème de santé publique qui pointe à l’horizon. Les alternatives telle que la seconde main recommencent à séduire la jeune génération qui y voit une occasion de se créer un look différent. Attention toutefois à la pollution numérique engendrée par les sites de vente en ligne. Notre monde est complexe.

« Notre civilisation a une addiction aux vêtements pire que celle du sucre », quelles sont les avancées en termes de régulation de la publicité afin de se libérer de cette surconsommation ?

Personnellement, je n’en vois aucune. La plupart sont diffusées par newsletter, sur les moteurs de recherche et sur les réseaux sociaux. Sans parler des influenceuses et influenceurs qui sont rémunérés par les marques pour diffuser leurs produits. On n’y échappe pas. Nos cerveaux sont formatés pour répondre à la stimulation et rechercher la récompense. Ce qui est un leurre bien entendu.

Selon vous, comment concilier pouvoir d’achat et consommation éthique ? Comment éveiller les consciences pour acheter mieux ?

Nous évoluons dans une civilisation de la surconsommation, et ceci pas seulement pour la mode. Notre système capitaliste est basé sur la surproduction et sur une croissance infinie. Il connait aujourd’hui ses limites. Sommes-nous plus heureux en surconsommant ? Nous avons perdu le sens du beau. Or, s’habiller est notre façon de nous montrer au monde, notre empreinte sur le mode. Sans vouloir stigmatiser, ni culpabiliser, notre travail repose sur l’information. Nous aimons la mode tout comme nous aimons la beauté. Pour moi, l’essentiel est dans le bon, bon pour ma santé, bon pour la planète et bon pour le vivant qui l’habite. Un parallèle avec la nourriture s’impose. Comment bien nourrir la planète et comment bien l’habiller, c’est pareil.

Plus concrètement, nous avons produit assez de textiles et de vêtements pour au moins 3 décennies. Avec 150 milliards de pièces produites en 2020… Dont la moitié sont détruites avant d’atterrir dans nos placards. Ces vêtements sont produits dans la misère et les larmes par des êtres humains, parfois soumis au travail forcé ou à l’esclavage. En 2021, suite aux conséquences du COVID, 160 millions d’enfants sont retournés au travail. En 2022, 30 millions de plus seront contraints de travailler pour subvenir à leurs besoins. C’est intolérable… Rien n’a changé depuis des siècles. Est-ce bien l’époque à laquelle nous voulons vivre ?

D’un autre côté, nous consommons 10 fois plus qu’il y a 20 ans. Et nous ne portons qu’un tiers de notre vestiaire. Alors, concrètement, commençons par faire le tri avant d’acheter de nouvelles pièces. Nous pouvons échanger avec notre entourage, donner à des associations, recycler dans les bornes de tri. Une façon d’y voir plus clair sur nos vrais besoins. Réparons nos vêtements fétiches ou transformons-les. Ensuite, il sera temps d’acheter (neuf, chez des marques éthiques, ou mieux, en seconde main), les vêtements qui manquent à notre vestiaire. Une attitude créative qui nous rend notre autonomie vestimentaire.

Avez-vous constaté une amélioration des droits humains et environnementaux dans l’industrie textile depuis ce qu’il s’est passé au Rana Plaza ?

Le Rana Plaza a été un électrochoc. L’année prochaine, nous célébrerons le dixième anniversaire de cette catastrophe. Dix ans plus tard, le constat est terrible. Il y a eu des avancées timides, comme l’Accord Bangladesh qui prévoit des obligations de sécurité dans les usines. Malheureusement signé par trop peu d’acteurs, cet accord n’est finalement pas suffisant.

En France, nous avons la Loi sur le Devoir de Vigilance (2017) et la loi AGEC (mise en application en janvier 2022) qui interdit désormais la destruction des invendus non alimentaires. Deux avancées qui méritent d’être élargies à l’Europe. D’ailleurs, dans le cadre de la discussion au parlement européen de la loi sur le Textile, nous lançons en juillet – avec d’autres ONG – une Initiative Citoyenne Européenne avec la campagne « Good Clothes Fair Pay » et une pétition à signer par les citoyens Européens. Nos 12 propositions seront à retrouver sur le site https://www.goodclothesfairpay.eu

Nous demandons un salaire vital pour les ouvriers du textile, l’arrêt du travail des enfants et des conditions acceptables pour tous.

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