Public, entreprises, ONGs : tous mobilisés pour un cacao responsable

Max Havelaar, plusieurs ONGs, le gouvernement français et des syndicats s'engagent pour une plus juste rémunération des cacaoculteurs et une meilleure protection de leurs droits.

Vous êtes directeur général de Max Havelaar, mouvement engagé pour le commerce équitable. Vous avez signé en octobre dernier l’initiative française pour un cacao durable. Pourquoi avoir accompagné cette initiative et quelle ambition pour celle-ci ?

Blaise DESBORDES : Parce qu’il y a urgence ! Les enjeux économiques, sociaux et environnementaux de la filière du cacao sont immenses et pressants : de l’extrême pauvreté des cacaoculteur·rice·s, à la déforestation, en passant par le travail des enfants, nous devons agir. Les acteurs de la filière connaissent ces réalités depuis des décennies, et certains travaillent depuis longtemps pour y répondre, mais sans suffisamment changer la donne. Quelques chiffres pour vous donner une idée :

  • Le prix du cacao a été divisé par 3 en 30 ans et les producteur·rice·s de cacao ne reçoivent plus que 6% du prix payé par les consommateur·rice·s pour leurs produits chocolatés contre 16% dans les années 1980.
  • La culture du cacao est l’un des premiers facteurs de la déforestation en Côte d’Ivoire et au Ghana, qui représentent environ deux tiers du cacao mondial.
  • On estime que 1,6 million d’enfants travaillent dans les plantations de cacao au Ghana et en Côte d’Ivoire.
  • Si les consommateur·rice·s semblent de plus en plus conscientisé.e.s, seul 5% du cacao français bénéficie d’une certification équitable, et environ 10% seulement est certifié par des référentiels indépendants de durabilité.

Les signataires de cette Initiative (Ministère de la Transition écologique, ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, Syndicat du Chocolat, un collectif d’ONG, des représentants des distributeurs et des organismes de recherche…) s’engagent conjointement à atteindre les objectifs suivants dans les régions productrices de cacao :

  • Améliorer le revenu des cacaoculteur.rice.s et de leurs familles, afin qu’ils puissent atteindre un revenu décent (au sens du « Living Income Community of Practice ») au plus tard d’ici à 2030, en collaboration avec les pays producteurs
  • Mettre fin, avec l’ensemble des parties prenantes, au plus tard d’ici 2025, aux approvisionnements de l’industrie française du cacao, et ceux de ses partenaires, issus de zones déforestées après le 1er janvier 2020, lutter contre la dégradation des forêts, et préserver les massifs forestiers et les zones à forte valeur environnementale
  • Prendre les mesures nécessaires, pour lutter et marquer des progrès contre le travail forcé et le travail des enfants, tel que défini par les Conventions de l’OIT, dans les régions productrices de cacao d’ici à 2025, dans le cadre de la mise en œuvre de l’Objectif de développement durable (ODD) des Nations Unies.

Ce type d’initiative peut-il se généraliser à d’autres filières, le café ou les bananes par exemple ?

Oui. Car ces initiatives ont une très grande vertu : elles élèvent la « norme » de responsabilité pour tout le monde ! En effet, elles sont signées par l’immense majorité d’un secteur et dès lors la peur qu’une bonne pratique affaiblisse la position concurrentielle d’un acteur est réduite. Et ceux qui pratiquent le dumping social et environnemental apparaissent marginalisés. C’est pourquoi il est essentiel que les acheteurs publics intègrent les critères et engagements de ces plateformes signées par les pouvoirs publics.

Dans la filière café, l’inquiétude grandit du fait du yoyo permanent des prix mondiaux, qui flambent en ce moment, alors que depuis 3 ans ils étaient écroulés. Dans la filière banane, les prix payés aux producteur.rice.s tombent dans beaucoup de régions au-dessous des coûts de production et sept pays producteurs de bananes – Equateur, Colombie, Panama, Guatemala, Costa Rica, République dominicaine et Honduras – ont été amenés à réagir publiquement à travers une déclaration appelant à une responsabilité sociale partagée de toute la chaîne d’approvisionnement de la banane. La logique de ces coalitions c’est que tout le monde gagne !

Pouvez-vous revenir sur l’enjeu d’une juste rémunération des producteurs au regard des enjeux de variabilité des prix qui leur échappent ?

40% de la population mondiale actuelle dépend de l’agriculture. Il s’agit pour elle de la principale source de revenu et d’emploi. Par ailleurs, 500 millions de paysans dans le monde fournissent 80 % de notre nourriture. Pourtant, paradoxalement, ceux-ci sont les premières victimes de la faim dans le monde, qui affecte 690 millions de personnes. Caféthéchocolatbananes… de nombreux produits et matières premières agricoles que nous consommons quotidiennement sont cultivés en Afrique, en Amérique latine ou en Asie. Les défis et injustices auxquels y sont confrontés de nombreux paysans et ouvriers sont immenses :

  • Les prix mondiaux des matières premières sont fixés dans les bourses internationales, et sont déconnectés des coûts de production. Travaillant au sein de petites exploitations familiales, sur des surfaces de tailles réduites, les paysannes et paysans n’ont pas de pouvoir de négociation.
  • Faute de solutions de stockage performantes, ils doivent souvent vendre leurs produits rapidement, en particulier si ces derniers sont périssables. Or, la plupart du temps,le prix du marché est tellement bas qu’il ne couvre pas les coûts de production.
  • Face à l’instabilité des prix et donc de leur rémunération, les petits producteurs et productrices sont dans l’incapacité d’envisager l’avenir.
  • Dans certaines plantations, le droit du travail est régulièrement bafoué et faute de liberté syndicale, les travailleurs et travailleuses salarié.e.s ont rarement la possibilité de défendre leurs droits.
  • Le changement climatique affecte d’ores et déjà les productions agricoles : épisodes de sécheresse, pluies violentes, cyclones et inondations se multiplient, tandis que de nouveaux parasites et maladies de plantes se développent.

Voilà le type de défis que le commerce équitable tente de relever, c’est un chemin difficile, mais qui recueille beaucoup de soutiens. En France par exemple, la croissance des produits certifiés équitables est forte car les consommateur.rice.s positionnent le juste prix au producteur de plus en plus haut dans leurs décisions d’achat..

Comment généraliser la démarche du commerce équitable aux achats en général ? Et Max Havelaar s’est-il positionné sur le commerce équitable « nord/nord » ?

Nous concevons aussi notre rôle d’ONG comme acteur d’influence des institutions internationales, européennes, nationales. C’est pourquoi nous proposons, en complément des labels de commerce équitable, des mesures législatives systémiques. Les produits du commerce équitable ont ainsi été introduits parmi les 50 % de produits durables demandés aux lieux de restauration collective par la loi Egalim. Nous portons aussi des mesures de fiscalité différenciée pour les produits du commerce équitable, et nous plaidons auprès d’acteurs influents, comme Paris 2024 qui annoncera sa Food Vision avant l’été.

Concernant le commerce équitable nord/nord,  nous avons utilisé les leçons de nos filières historiques du Sud pour créer ce nouveau cahier des charges adapté à la France, en dialoguant avec les producteurs. Alors que tout le monde parle de garantir un prix juste, transparent et supérieur aux coûts de production à l’agriculteur, nous le proposons aujourd’hui concrètement et de façon territorialisée. Plus d’ingrédients certifiés permettra la création des produits nouveaux, cela favorisera une solidarité de fait entre agriculteurs fragilisés au Nord et au Sud, et garantira un juste prix à l’agriculteur, où qu’il soit. Les consommateur.rice.s réclament cette cohérence. Les premiers produits sortiront mi-mai.

 

Max Havelaar

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