La révolution de l’économie du partage BtoB

Dans un rapport pour la Fondation Terra Nova, l’expert en innovation et promoteur de l’économie frugale Navi Radjou montre comment, en partageant judicieusement leurs ressources, les entreprises pourraient générer une valeur économique phénoménale, stimuler l'inclusion sociale et accélérer leur transition écologique. A condition toutefois de changer radicalement d‘état d’esprit, et que l’Etat s’implique.

Rédigé dans le cadre de l’Université de la Terre

En une quinzaine d’années, l’économie du partage entre pairs a consacré de célèbres champions – AirBnB ou Blablacar – et pèsera 570Mds€ en 2025 (source PWC). Mais pour Navi Radjou, une autre économie du partage est fantastiquement prometteuse : celle du partage B2B – ou partage interentreprises – de leurs ressources physiques et immatérielles. La transition écologique et la transformation des habitudes de travail post Covid la rendent plus nécessaire que jamais. Selon lui, cet enjeu de milliers de milliards d’€ « suppose un changement d’état d’esprit radical pour les entreprises : abandonner leurs vieilles habitudes de thésaurisation des ressources et de concurrence exacerbée, et apprendre à coopérer et à partager davantage ».

Comment procéder ? En faisant l’expérience de niveaux de partage progressifs (voir illustration),  « pour gagner en assurance et surtout en confiance, et ainsi prendre davantage de risques, pour plus de valeur ».

 

  • Niveau 1 : Partager les déchets.

A l’instar de l’économie circulaire, les flux de déchets d’une entreprise deviennent les matières premières d’une autre.

  • Niveau 2 : Partager les actifs physiques.

Stocks, bâtiments, équipements, véhicules inutilisés ou sous-exploités : des revenus supplémentaires et un gain écologique évident.

  • Niveau 3 : Partager le pouvoir d’achat.

Regrouper la demande pour obtenir des prix plus bas, réduire les coûts d’approvisionnement, ou mieux réguler ses stocks en les mutualisant.

Si les 3 premiers niveaux sont déjà pratiqués, les 3 suivants sont plus audacieux, mais plus prometteurs aussi.

  • Niveau 4 : Partager les employés.

Il s’agit, en les mutualisant, d’avoir accès à un réservoir de talents, de compétences et d’expertises très large et diversifié. Un modèle gagnant-gagnant pour le salarié (réduction des temps partiels) et l’employeur (partage des charges).

  • Niveau 5 : Partager les clients.

Offrir à des “clients partagés” des solutions de bout en bout et des expériences hautement personnalisées. Plutôt qu’augmenter sa propre part du gâteau, augmenter la taille du gâteau entier pour le bénéfice de tous.

  • Niveau 6 : Partager la propriété intellectuelle.

Monétiser certains actifs intellectuels inutilisés ou sous-exploités (36% des brevets européens ne seraient pas exploités) ou, pour les plus audacieux, viser un “leadership moral” en partageant leurs propriétés avec d’autres organisations – parfois rivales – afin d’accroître l’impact social et écologique collectif de leur secteur.

 

L’étude foisonne d’exemples, citons-en quatre.

  • Les entreprises installées dans le parc éco-industriel de Kalundborg au Danemark échangent déchets matériels, énergie et eau dans le cadre d’un écosystème intégré de symbiose industrielle. Résultat : 240 000 tonnes de CO2 et 3 millions de mètres cubes d’eau économisés chaque année.
  • En Amérique du Nord, les chocolatiers rivaux Hershey et Ferrero ont conclu un accord pour mettre en commun leurs actifs, systèmes d’entreposages et de transport.
  • En Bretagne et Loire Atlantique, Vénétis, une association de 360 petites entreprises exerçant dans des domaines variés emploie des experts à temps plein, en se les partageant sur la base de projets.
  • En France toujours, Orange, Kingfisher, Carrefour, Legrand, La Poste, Seb et Pernod Ricard ont créé InHome, un incubateur interprofessionnel pour mieux comprendre les besoins des familles qui vivront dans les maisons de demain et peut être développer des offres conjointes.

 

Au-delà des gains purement économiques pour les entreprises, Radjou y voit la création ou préservation des emplois, un accès à des ressources de qualité pour les entreprises les plus fragiles, le développement de nouveaux services pour les particuliers grâce à la mutualisation, ou encore un impact sur l’environnement et la biodiversité grâce à la diminution des déchets et des ressources inutilisées. “Rien qu’en engageant toutes ses entreprises au niveau 1 du partage B2B, à savoir le recyclage des déchets et la réutilisation des ressources au sein des réseaux d’échanges, chaque pays peut réduire ses émissions de 39 %”, affirme-t-il.

 

Pour lever les nombreuses réserves qu’on peut avoir sur sa démonstration, et passer à une échelle supérieure aux quelques exemples cités dans l’étude, deux leviers sont essentiels.

 

D’abord passer du smart sharing (juste rendre le système actuel plus efficace), au wise sharing, ou « objectifs nobles », à savoir réinventer radicalement des industries entières et accélérer la transition vers une économie frugale dans le monde post- COVID-19. Les exemples ne manquent pas :

  • Réinventer les soins de santé grâce à la mutualisation des ressources (ce qui fut fait durant le Covid)
  • Passer d’entreprises durables ou neutres, à des « entreprises régénératrices » à impact positif, qui embarquent tout leur secteur dans une transition écologique systémique
  • Atteindre les fameux ODD plus vite et mieux : à la clé, la création de centaines de millions d’emplois, mais les coûts, qui s’évaluent en milliers de milliards, ne peuvent être portés que collectivement et solidairement.

 

C’est là qu’intervient l’autre levier : le soutien actif des gouvernements via un nouveau cadre réglementaire complet, de généreuses incitations fiscales et de multiples assouplissements juridiques, listés dans l’étude.

 

Si les États-Unis continuent de mener aujourd’hui la révolution du partage entre particuliers, la France et l’Europe ont, selon Navi Radjou, une carte à jouer dans le domaine du partage inter-entreprises, grâce à leur culture de la coopération et des pouvoirs publics très présents. Après tout, malgré la crise et l’intense compétition économique, un nombre grandissant d’entreprises investissent du temps et renoncent parfois à du business, en se définissant une Mission, qui prend en compte le bien commun, au-delà du profit de court terme.

 

Télécharger le rapport

 

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