La finance un levier puissant pour accélérer les transitions
Olivier de Guerre, Président de Phitrust, nous présente leur ambition pour 2022 et leurs actions pour faire progresser la finance à impact.
Olivier de Guerre : Il parait illogique de demander aux entreprises de transformer rapidement leurs modèles d’affaires pour répondre aux enjeux climatiques et sociaux sans penser que le secteur financier ne doive pas faire de même. La finance est un levier puissant et a une immense responsabilité pour accélérer cette transition. Phitrust agit dans ce sens depuis sa création que ce soit vis-à-vis des entreprises cotées en bourse en agissant en actionnaire engagé et exigeant, ou vis-à-vis d’entreprises sociales innovantes pour accélérer leur changement d’échelle et donc leurs impacts. Le fait d’adopter la qualité d’entreprise à mission semblait donc naturel, presque évident. Le chemin, les réflexions collectives de toute l’équipe pour formuler les objectifs liés à notre raison d’être ont été donc presque plus intéressants que l’adoption elle-même, et ont permis de renouveler nos engagements à faire et agir. Nous sommes ainsi ancrés dans une communauté d’acteurs qui partagent cette urgence de devoir agir. Et de transformer notre vision de l’entreprise (biaisée par les années 80 et l’Ecole de Chicago) : un projet commun tourné vers un objectif partagé par toutes ses parties prenantes. Cela conforte notre modèle fondé sur la responsabilité de l’actionnaire. Toute la différence entre placer son argent, et investir et s’investir dans un projet d’entreprise.
Concrètement cela nous oblige à des résultats, à renforcer nos moyens d’actions, et donc nos encours.
L’année 2021 a été riche en événements pour vous, puisque vous réaffirmez votre engagement en lançant un fonds dédié à l’inclusion. Quelle est votre ambition? Quelle est la prochaine étape pour 2022 ?
Les conséquences sociales de la double transition environnementale et digitale que nous vivons sont trop sous estimées encore aujourd’hui, même si la crise sanitaire a agi comme un révélateur. Les besoins de reconversion et de formation, la revalorisation des métiers « essentiels », l’isolement des personnes âgées, le manque de logements sociaux, la force de frappe des entreprises d’insertion et des entreprises adaptées doivent être traités rapidement en mobilisant des investisseurs engagés. On ne peut penser la transition écologique sans embrasser ses enjeux sociaux. C’est la stratégie d’investissement que nous déployons dans notre activité en non coté depuis 2006 en finançant et accompagnant le développement d’entreprises d’insertion comme Ecodair, la Varappe, Main Forte ou d’autres encore, ou des entreprises sociales comme Alenvi qui repense le métier des auxiliaires de vie, ou encore LemonTri dans l’économie circulaire, Simplon dans la formation des personnes éloignées de l’emploi ou REH qui rénove les habitats des plus précaires. Le fonds Phitrust Partenaires Inclusion vient donc en relève de notre fonds Phitrust Partenaires Europe qui est quasiment totalement investi. Avec une ambition plus forte en termes d’encours – les enjeux nous obligent à réussir en 2022 à fédérer un maximum d’investisseurs institutionnels et privés autour de ce projet – et une couverture géographique européenne, zone où nous avons créé un réseau fort de partenaires, avec l’idée d’essaimer dans les différents pays des modèles qui ont déjà fait leur preuve, et donc démultiplier leurs impacts.
Vous soutenez la Fabrique de la Finance, qui s’est réunie, le mercredi 13 octobre dernier. quels étaient les enjeux pour Phitrust? Et plus largement, quelles sont les actions à engager pour faire progresser la finance à impact?
L’enjeux principal est de décloisonner. Les acteurs de la finance dite à impact se parlent beaucoup entre eux, essaient de se donner une définition commune afin de légitimer leur action, et c’est très bien. L’exigence que l’on se donne est indispensable pour éviter greenwashing et impactwashing, … C’est bien le risque. Et le résultat obtenu par les partenaires de Finance for Tomorrow, dont nous faisons partie est bon. Mais il nous semble essentiel que tous, au-delà de ce cercle, se saisissent des enjeux et de la responsabilité du secteur financier pour changer la donne et accélérer la transition de notre modèle économique.
La question centrale reste et restera toujours, au-delà de la définition, quel est le critère final que l’on se donne en tant qu’actionnaire pour arbitrer un investissement : sa rentabilité financière ou ses impacts ? Si une entreprise a des difficultés, traverse une mauvaise passe, est-ce que je vends ma participation alors qu’elle a un impact social et environnemental fort ou est-ce que je réinvestis pour soutenir son développement ?
L’enjeu principal est bien de se penser en tant qu’actionnaire, au sens qu’en donne Middlenext dans son code « la fonction de l’actionnaire est essentielle pour assurer la confiance envers l’entreprise, il incarne la responsabilité quant à la continuité de l’entreprise et fonde son projet dans la durée. Sa légitimité repose sur sa volonté d’exercer réellement son pouvoir dans une perspective long terme. » Continuité de l’entreprise et perspective de long terme. Faut-il mieux être actionnaire d’une grande entreprise énergétique qui met en œuvre et investit pour la décarbonation de son modèle – en étant exigeant et systématique sur le suivi des progrès réalisés – ou exclure tout investissement dans les énergies fossiles et avoir l’esprit tranquille, au risque que d’autres investisseurs moins bien disants captent la rentabilité à court terme en se moquant du long terme ? Les actionnaires sont de fait ambivalents. Certains veulent par exemple que des entreprises comme Shell ou Total investissent massivement dans les énergies renouvelables. D’autres veulent que ces groupes donnent la priorité au retour sur capital et profitent de leurs activités historiques d’exploitation de pétrole et de gaz….
Quelles priorités se donne t’on en tant qu’actionnaire ? La question est bien là !