20 ans de RSE ne suffisent plus : vive la permaentreprise
Une entreprise qui base son développement sur les principes de la permaculture : c’est le nouveau cheval de bataille de Sylvain Breuzard, pdg de Norsys et président du Conseil d’administration de Greenpeace et du Réseau Étincelle depuis 2011. Il défend avec conviction ce nouveau modèle d’entreprise dans son livre : « La permaentreprise – un modèle viable pour un futur vivable ».
Entrepreneurs d’avenir – La permaentreprise, c’est quoi ?
Sylvain Breuzard – Vingt ans de RSE n’ont pas empêché le monde de se dégrader. Partant de ce constat, j’ai réfléchi à un modèle d’entreprise plus engagé, qui s’inspirerait des trois principes éthiques de la permaculture : prendre soin des êtres humains ; préserver la planète ; se fixer des limites et redistribuer les surplus. En les adaptant à l’entreprise, ça donnerait : obtenir une production efficace et utile aux humains, sans nuire à la planète, en faisant un usage sobre et régénératif des ressources et en partageant équitablement les richesses.
Ce modèle de permaentreprise est nouveau dans la mesure où jamais une entreprise n’a basé son développement sur des principes éthiques. Il pousse à définir les enjeux de l’entreprise et les projets pour les concrétiser, tout en intégrant des principes de régénération et d’agencement des parties prenantes. Il contient 23 objectifs d’impact clairs et ambitieux, comme l’employabilité des collaborateurs, la réduction des émissions de CO2, la redistribution des résultats, l’exclusion des fournisseurs présents dans les paradis fiscaux… Chaque permaentreprise peut ensuite ajouter ses propres objectifs d’impact et ses indicateurs pour les suivre. Elle dispose ainsi de son propre référentiel d’indicateurs et d’un outil de pilotage contextualisé pour avancer.
Entreprise contributive, à impact ou à mission, BCorp… Les nouveaux modèles d’entreprise ne manquent pas. Qu’est-ce qui différencie la permaentreprise ?
Prenez l’entreprise à mission. Sa raison d’être doit figurer dans ses statuts, avec les engagements qui en résultent. Elle ne peut donc être écrite qu’en termes très généraux, sinon les statuts risquent d’être changés régulièrement. De plus l’entreprise à mission n’est pas contrainte d’avoir une approche globale qui prend en compte les besoins d’évolution du monde, notamment en termes sociaux et environnementaux. Quant à BCorp, c’est un modèle américain certes peu contraignant. La permaentreprise, elle, propose de bâtir un projet, avec des enjeux pour le court et le moyen terme, une cohérence globale, une transversalité, et aboutit à un référentiel d’indicateurs sur mesure. Par conséquent, elle pourra être reconnue entreprise à mission, certifiée BCorp ou par d’autres référentiels RSE.
Toutes les entreprises ont-elles vocation à devenir des permaentreprises ?
Non, certaines sont trop en opposition avec les principes éthiques de la permaentreprise. Mais ce n’est pas irréversible. Si un producteur d’énergies fossiles se remet en question et investit massivement dans les énergies renouvelables, il pourra devenir éligible. Ceci dit, commençons d’abord par embarquer les entreprises qui ont déjà une bonne sensibilité sur ces questions. Elles sont nombreuses !
Charité bien ordonnée commence par soi-même. Avez-vous commencé à transformer Norsys en permaentreprise ?
Norsys est déjà engagée sur de nombreux sujets depuis une vingtaine d’années : contre la discrimination, pour l’égalité professionnelle hommes-femmes, la formation continue des collaborateurs, une contribution nette et positive en carbone, sa fondation d’entreprise… Ces engagements permettent d’anticiper des mutations et de rester performant. Nous avons par exemple organisé le télétravail dès 2016, ce qui nous a permis de traverser dans de bonnes conditions le premier confinement de 2020. Le livre contient des exemples concrets de projets et d’agencements de parties prenantes de Norsys.
Comment comptez-vous évangéliser les entreprises pour qu’elles deviennent des permaentreprises ?
Je voudrais d’abord convaincre les réseaux d’entreprises sensibles aux thématiques de la RSE que la permaentreprise est un bon moyen d’aller plus loin dans leurs engagements tout en améliorant la performance de l’entreprise. Ces réseaux lanceraient les premières expérimentations et donneraient de la maturité au modèle, ce qui est déjà le cas pour deux d’entre eux. Si la greffe prend, nous pourrions créer une école formant des « accompagnants » de cette transformation.
Dans le contexte actuel, beaucoup d’entreprises sont surtout préoccupées par leur survie….
Bien sûr, celles qui sont dans des secteurs sinistrés ne sont pas prêtes à recevoir notre message. Mais nous pouvons déjà nous adresser à d’autres catégories : celles qui ont pu se développer en 2020, comme le e-commerce, la grande distribution ; celles qui ont su rebondir après avoir souffert. Ces entreprises ont tout intérêt à devenir des permaentreprises pour anticiper les défis économiques, sociaux, écologiques et numériques à venir. C’est très motivant d’apporter des dynamiques positives dans un moment pareil.
« La permaentreprise – un modèle viable pour un futur vivable, inspiré de la permaculture », de Sylvain Breuzard, Eyrolles, 2021.
INVITATION 31 mars 2021 de 17h30 à 19h00 :
INSCRIPTION WEBINAIRE PERMAENTREPRISE
Propos recueillis par Pascal de Rauglaudre