Un serment d’Hippocrate pour les entrepreneurs ?
Les entrepreneurs ont un pouvoir énorme.
Les entrepreneurs ont un pouvoir énorme. En créant des sociétés, en façonnant des nouveaux biens et services, en attirant à eux des capitaux, en créant des lieux de travail et de vie, ils ne sont rien de moins que ce qu’Armand Hatchuel appelle des « agents de civilisation ». Mais ce pouvoir, ils peuvent aussi l’exercer de manière négative. Leurs entreprises peuvent avoir un impact environnemental lourd que ne justifie pas la valeur ajoutée de leurs services ou produits. Leurs cadres de travail peuvent entraîner de la souffrance. Leurs pivots peuvent perturber des équilibres sociaux.
Et si nous nous posions la question des prérequis que notre société devrait exiger avant de confier à des personnes un tel pouvoir…Quand on y pense… On passe un permis de conduire parce que la voiture tue, et c’est normal. Par contre, on crée une société en trois clics sur Internet. Sans titre particulier, vous pouvez ainsi par exemple, via une personne morale, lever des fonds, embaucher des gens, les mettre au chômage, polluer, laisser des autoentrepreneurs sur le carreau…Les organisations de travail nocives, la déresponsabilisation sur les enjeux sociaux et environnementaux ne tuent-elles pas ? Combien de morts par an faut-il pour que la société soit en droit de « normer » un minimum le comportement d’un groupe de personnes, comme elle le fait pour les automobilistes ?
Si les questions du rôle social des élites, des devoirs de protection envers le faible, sont anciennes, et presque civilisationnelles, on se refuse à les poser franchement à propos des entrepreneurs, héros des temps modernes. Nous vivons en effet les dernières années d’un consensus social qui glorifie la liberté absolue des entrepreneurs, la maximisation de leur intérêt personnel et leur désir d’appropriation du capital en échange d’un accroissement continu de la richesse matérielle collective (la croissance). Le rôle de l’entrepreneur, ses droits et ses devoirs, ne sont pourtant pas des notions immuables. A chaque époque, elles illustrent en fait le contrat tacite entre la société et les individus pour produire de la richesse et façonner le monde. Au moyen âge on créait de l’activité principalement au sein d’une corporation de métier et de ses règles strictes. Ensuite, on a pu créer des sociétés de capitaux dites « anonymes », mais dans un objectif d’intérêt général, avec l’aval de l’Etat, et ce jusqu’à la deuxième partie du 19ème siècle…
Pour l’instant, nous avons collectivement entrepris de mieux cadrer le rôle des entreprises. La RSE est devenue avec la loi PACTE une obligation légale. De nombreuses initiatives agissent sur les cadres juridiques et les normes de gestion des entreprises pour améliorer leur impact (société à mission, B corp…). Mais le rôle des personnes qui sont derrière les entreprises ne peut être résumé aux engagements juridiques de ces dernières. Il n’y a pas de corpus simple sur lequel s’appuyer, pas de déontologie disponible dans le domaine public pour évaluer la manière dont les entrepreneurs remplissent personnellement leur rôle social.
Créer un serment de l’entrepreneur pourrait être un bon début. Des médecins aux avocats, en passant par les agents de la Poste ou les géomètres, de nombreuses professions, ont senti le besoin de graver dans le marbre quelques notions clés sur la manière dont le métier devait être exercé. Personne ne le remet en question, tant il paraît naturel que ces personnes partagent une conscience professionnelle particulière. Quand nous consultons un médecin, nous n’avons pas de garanties, mais nous savons par exemple qu’il a juré « qu’il ne ferait pas usage de ses connaissance contre les lois de l’humanité » ou qu’il n’ « exploiterait pas le pouvoir hérité des circonstances pour forcer les consciences ». De la même manière, un serment de l’entrepreneur pourrait poser les bases d’une éthique face aux enjeux sociaux et environnementaux. Il ne s’agirait pas d’édicter un code de bonne conduite liberticide mais d’énoncer des principes simples qui font consensus.
Chiche ? Menons ensemble sur quelques mois un travail collaboratif regroupant entrepreneurs, philosophes, et d’autres parties prenantes. Formalisons ces attentes tacites de la société vis-à-vis de ceux qui en conduisent le changement.
Guillaume Desnoës, cofondateur de ALENVI