Affaire du siècle : « Si on ne se bat pas pour le climat, pour quoi va-t-on le faire ? »
Plus de deux millions de signatures ! La pétition L’affaire du siècle a battu tous les records. Initiée par Notre affaire à tous, une équipe de juristes bénévoles, elle veut poursuivre l’État pour son inaction sur le climat. Fanny Giansetto, sa porte-parole, détaille le contenu de cette plainte hors norme.
Entrepreneurs d’avenir – Deux millions de signatures en quelques jours, c’est du jamais vu en France pour une pétition. Vous avez été surprise ?
Fanny Giansetto – Oui, nous savions qu’il y avait une prise de conscience, notamment après les marches pour le climat, mais nous ne nous attendions pas à un succès si rapide ! Nous avons travaillé sur ce texte pendant deux ans. Nous ne voulions pas y aller seules et nous avons demandé à Greenpeace, Oxfam et d’autres de nous rejoindre. Nous avons hésité à le faire en décembre, à cause de la mobilisation des Gilets jaunes contre la taxe carbone. Et puis nous avons jugé qu’il n’y aurait jamais de bon moment, et qu’il fallait y aller.
Est-ce que vous vous sentez investies d’une responsabilité ?
Oui, à l’égard de tous ceux qui ont signé, et ça nous booste pour aller jusqu’au bout dans l’action juridique.
Quelle forme cette action va-t-elle prendre ?
Quand la pétition est sortie, le 18 décembre dernier, nous avons déposé un recours préalable pour demander au gouvernement d’agir sur les carences que nous avons identifiées. Il avait deux mois pour nous répondre, jusqu’au 18 février donc. Deux jours avant la fin du recours, nous avons rencontré le Premier ministre, qui nous a répondu que l’État était déjà très engagé. Il n’a proposé aucune action nouvelle par rapport aux carences.
Est-ce une façon de se défausser ?
Exactement. Nous dénonçons le fait qu’il fasse peser la responsabilité sur les individus, et pas sur la personne de l’État.
Quelles carences avez-vous pointées ?
Nous en avons soulevé quatre : la reprise de la hausse des émissions de gaz à effet de serre en France ; des manquements en matière de rénovation des logements ; des retards dans le développement des énergies renouvelables ; la faiblesse de l’investissement public. Aucun des objectifs pris par l’État n’a été respecté.
Y a-t-il des précédents, des plaintes qui auraient abouti en matière de justice climatique ?
Oui, il existe un vrai mouvement mondial pour la justice climatique. Plus de mille organisations ont intenté des actions, ce qui nous a beaucoup stimulé. Je peux vous citer trois succès importants. Aux Pays-Bas, l’État a été poursuivi par l’association Urgenda pour ses carences dans la lutte contre le changement climatique, et la Cour d’appel l’a obligé à prendre des actions d’ici 2020. Au Pakistan, un agriculteur a porté plainte contre l’État, qui n’a pas appliqué les mesures d’adaptation qu’il s’était engagé à prendre. Il a gagné. Des États latino-américains comme l’Équateur ont reconnu la nature comme une personne morale au nom de laquelle on peut agir en justice, et ont inscrit ses droits dans leur Constitution.
Peut-on imaginer que l’État impose des limites à la consommation de viande, au transport aérien ou au transport routier ?
Oui tout à fait. Mais nous insistons sur la nécessité de prendre des mesures justes socialement. On ne peut pas imposer des mesures à certaines catégories de personnes seulement. Dans le cas de la taxe carbone, le consommateur final, celui qui a besoin de sa voiture tous les jours, est taxé, alors que le transport aérien et le kérosène ne le sont pas. Nous disons oui à une taxe carbone, mais à condition qu’elle soit accompagnée d’autres mesures fortes socialement.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Le 14 mars, nous avons déposé notre action en carence contre l’État devant le tribunal administratif, et le 15, nous participons à une grande grève pour le climat, organisée dans tous les lycées et toutes les écoles. Cette grève s’inscrit dans le mouvement initié par la lycéenne suédoise Greta Thunberg, et très suivi ailleurs en Europe. Il en va de la survie des espèces vivantes et de l’humanité : si on ne se bat pas pour cette question, pour quoi va-t-on le faire ?
Propos recueillis par Pascal de Rauglaudre
Signer la pétition L’affaire du siècle