Le service civique, une étape naturelle dans l’éducation
À la source du débat actuel sur le service civique, il y a l’expérience d’Unis-Cité qui a commencé voici 20 ans. Marie Trellu-Kane, sa fondatrice, souligne combien la société française gagnerait à généraliser le service civique.
Depuis vingt ans, inspiré par le service civique américain, Unis-Cité promeut un service civique pour développer l’éducation citoyenne des jeunes Français tout en favorisant la mixité sociale et culturelle. À l’occasion de cet anniversaire, Marie Trellu-Kane, sa fondatrice, publie le livre Changer le monde à 20 ans : du rêve citoyen au service civique (Ed. du Cherche-midi, 2015). Alors que le service civique revient au cœur du débat politique, elle explique ce que ce retour implique pour l’avenir de son mouvement.
Entrepreneurs d’avenir – Quel bilan de l’action d’Unis-Cité dressez-vous après vingt années d’existence ?
Marie Trellu-Kane – Le bilan est, il me semble, très satisfaisant. En vingt ans, Unis-Cité a permis à 12 000 jeunes de donner neuf mois de leur vie à l’intérêt général. Ces jeunes, issus de tous les milieux sociaux et avec tous les niveaux d’étude, sont venus en aide à plus de 250 000 personnes, même si leur statut légal n’a été clarifié qu’en 2002, avec couverture sociale à la clé, et que leur indemnisation n’est assurée par l’État que depuis 2005. Bien sûr, nous n’avons pas encore atteint notre objectif, à savoir imposer le service civique comme une étape naturelle dans l’éducation de tous les jeunes de France. Mais l’expérience d’Unis-Cité a néanmoins inspiré les politiques publiques sur le service civil volontaire en 2005, et sur l’actuel service civique en 2010. Ce n’est pas à mettre uniquement au crédit d’Unis-Cité, mais nous y avons quand même fortement contribué.
Mais si l’Etat reprend à son compte le service civique, est-ce la fin d’Unis-Cité ?
Bonne question ! Nous nous l’étions déjà posée quand la première loi sur le service civil volontaire, sur le modèle d’Unis-Cité, a été votée en 2005. Mais il nous a paru qu’un acteur de la société civile, indépendant, libre de ses paroles et de ses gestes comme Unis-Cité, était essentiel pour promouvoir la généralisation d’un service civique de qualité, et faire perdurer le projet à travers les alternances politiques. Car personne n’a de garantie qu’une politique publique nouvelle soit conservée, surtout dans un contexte de restriction budgétaire.
Concrètement, sous quelle forme Unis-Cité peut continuer à exister ?
Nous travaillons davantage avec le reste du secteur associatif et les mouvements de jeunesse, pour bâtir une parole commune sur le service civique. Cela a contribué à avoir un soutien sur la question en 2007, en 2012, et aujourd’hui. Par ailleurs Unis-Cité fonctionne depuis 2005 comme un laboratoire sur son potentiel d’impact sur la société, et continue d’innover en permanence. Nous avons ainsi lancé plusieurs missions pour expérimenter l’apport du service civique sur des grandes causes sociales et environnementales. Mediaterre, par exemple, envoie des jeunes communiquer sur le changement climatique avec les habitants des quartiers en difficultés, peu avertis sur cette question. Nous avons également lancé deux nouveaux programmes, qui montrent l’utilité du service civique pour certains profils de jeunes : Booster, pour motiver les mineurs en décrochage scolaire, en partenariat avec l’Éducation nationale ; et Rêve et réalise, qui propose à des jeunes de consacrer leur service civique à porter un projet qui leur tient à cœur, avec le soutien de parrains. Unis-Cité devient donc une sorte d’incubateur de jeunes entrepreneurs sociaux.
Faut-il rendre le service civique obligatoire ?
Ça serait la solution miracle pour que notre rêve devienne réalité… Mais aujourd’hui, outre qu’imposer un tel devoir civique aux jeunes plus qu’aux moins jeunes peut être contestable, cela semble impossible, car il n’y a pas suffisamment de missions à confier aux 850 000 jeunes d’une classe d’âge, ni les moyens de les financer. Il est plus stratégique de garder un service civique d’une durée suffisante, 6 à 12 mois, faute de quoi l’argent investi n’aura pas l’impact escompté sur les jeunes, et les missions dans le secteur associatif et public local seront encore plus difficiles à trouver. Et s’il fallait rendre le service civique obligatoire, l’État devrait en assurer 100 % du coût. Or en 2014 il a tout juste financé 80 % de l’indemnité des 25 000 jeunes, et très peu leur encadrement. Testons déjà cette obligation sur les énarques et les étudiants des grandes écoles : ça serait très formateur pour eux, et la société aurait tout à y gagner.
Justement, comment parvenez-vous à motiver les diplômés de grandes écoles ?
C’est difficile, je ne vous le cache pas. Ces diplômés sont très brillants, mais ils auraient besoin d’être davantage confrontés à la réalité de la vie. Je suis convaincue que passer un an de service civique avec des gens très différents par leur milieu social et leur niveau d’étude, développe des savoir-être et des savoir-faire qu’on n’apprend pas dans les grandes écoles de management. Nous signons des conventions de partenariat avec ces établissements, pour qu’ils fassent la promotion du service civique et du modèle Unis-Cité auprès de leurs étudiants, mais les déclarations d’intention ne sont pas toujours suivies d’effet. Les grandes entreprises devraient aussi inclure le service civique dans leurs critères de recrutement. Il reste encore beaucoup à faire !
UNIS CITE
Dominique Pialot et Pascal de Rauglaudre