« L’humanité n’est pas assez stupide pour se tuer »
Le coronavirus avant la biodiversité ! La « COP 15 de la biodiversité », qui devait se réunir à l’automne prochain en Chine, a été repoussée à 2021. Mais Robert Watson, former Chair of IPBES, le « GIEC de la biodiversité », qui est intervenu au Parlement des Entrepreneurs d’avenir en janvier dernier, voit des raisons d’espérer dans la communauté des entrepreneurs.
Entrepreneurs d’avenir – Qu’attendez-vous de la prochaine COP sur la biodiversité ?
Robert Watson – J’ai commencé à étudier le premier document qui nous a été transmis, mais je reste inquiet. Il y a vingt ans, les gouvernements du monde se sont mis d’accord pour freiner et inverser la perte de biodiversité. En 2010, ils ont adopté vingt nouveaux objectifs dans ce sens. À chaque fois, ils ont échoué. C’était couru d’avance quand on connaît les raisons de la perte de biodiversité : changements d’usage des sols, surexploitation, pollution, climat, espèces invasives, etc. L’année dernière, au sommet du G7 à Metz, ils ont répété la même antienne : nous allons prendre au sérieux la biodiversité et le changement climatique, lutter contre les inégalités, etc. Au lieu de fixer les mêmes objectifs inaccessibles à tout le monde, ils feraient mieux d’annoncer les actions qu’ils sont prêts à prendre individuellement.
Pourquoi une COP de la biodiversité, alors que celle du changement climatique ne donne pas une impression de succès ?
Sur le papier, l’Accord de Paris était excellent. Tous les États du monde, y compris les États-Unis, y reconnaissaient l’importance du changement climatique, et ils avaient pris des engagements qui allaient dans la bonne direction, même s’ils étaient insuffisants. La question est à peu près la même pour tous les pays : comment produire de l’énergie sans recourir aux énergies fossiles. La biodiversité est un sujet très différent, parce qu’il ne se pose pas du tout de la même façon en Chine, au Brésil ou en Europe. Il implique aussi que tous les ministères des pays concernés coopèrent, pas seulement ceux de l’énergie et des finances.
Mais les gouvernements actuels sont-ils structurés pour l’affronter ?Les États-Unis, l’Australie, le Brésil sont trois grands États démocratiques qui échouent sur les questions environnementales. La démocratie vous semble-t-elle un bon système pour relever les défis environnementaux ?
Mais quelles sont les alternatives ? Si nos démocraties ne fonctionnent plus, c’est parce qu’elles sont rongées de l’intérieur par les conflits d’intérêt, les États-Unis étant l’exemple le plus frappant. Les succès de la Chine sont indéniables : réduction de la pauvreté, efficacité énergétique, énergies renouvelables. Mais personne n’a envie d’adopter son système politique, avec ses restrictions sévères des libertés individuelles. C’est la responsabilité des pays riches de montrer qu’il est possible d’avoir une bonne qualité de vie, de sauvegarder la nature et de se libérer des énergies fossiles, tout en aidant les pays en développement.
L’année dernière, une enquête alertait sur un effondrement de la population d’insectes en Allemagne. Y a-t-il des points de non-retour dans la perte de biodiversité ?
Une précision : les résultats de l’enquête allemande que vous mentionnez ont été contestés. Mais cela ne retire rien au fait qu’un million d’espèces sont bien en voie d’extinction. Pour les récifs coralliens, il y a certainement un point de non retour. 50 à 70 % d’entre eux disparaîtraient avec une augmentation de température de 1,5°C, 95 % avec 2°C. Ils sont le canari dans la mine.
Mais l’humanité peut vivre sans récifs coralliens !
Les Français, oui, mais pas les habitants des îles de l’Océan pacifique ! Ces récifs les font vivre, avec la pêche et le tourisme, et ils protègent aussi les îles de l’érosion causée par les vagues. Il y a quelques années, j’étais au Texas et quelqu’un m’a dit : ce n’est pas grave de perdre quelques îles du Pacifique, nous avons beaucoup d’espace ici, leurs habitants n’ont qu’à venir. D’un point de vue économique, ça se tient, mais honnêtement, vous iriez vous réfugier au Texas ? Il y a d’autres points de non retour. À 2°C, la plupart des forêts boréales pourraient disparaître, et elles ne se reconstitueront pas instantanément. Les migrations de la faune, oiseaux, papillons, animaux, sont perturbées.
Ces phénomènes sont-ils importants pour nous ?
Oui, car la dégradation de la nature menace notre santé, notre sécurité alimentaire et nos approvisionnements en eau.
Voyez-vous quelques raisons d’être optimiste ?
Optimiste, il faut l’être, sinon c’est impossible de se lever le matin ! Bien sûr, l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, la destruction des forêts primaires au cours des 20-30 dernières années, n’incitent pas à l’optimisme. Mais je ne crois pas que l’humanité soit assez stupide pour se tuer, et je vois quelques raisons d’espérer. D’abord les gouvernements se sont tous engagés à rester dans l’Accord de Paris sur le climat, à l’exception des États-Unis : c’est bien la preuve qu’ils réalisent qu’il y a un problème. À Davos, cette année, le Forum économique mondial a inscrit les questions environnementales en haut de son agenda parce qu’il les considère comme très menaçantes pour le business. Et puis il n’y a pas que les gouvernements : aux États-Unis, par exemple, des villes, des états, des entreprises sont très proactifs. Alors oui, la nature va continuer à se dégrader, mais je suis certain que les gouvernements finiront par travailler avec les entreprises et les ONG pour inverser la tendance.
Propos recueillis par Pascal de Rauglaudre